11-12-2020
Bruno Dondero : “Je crois qu’il faut vraiment cueillir cette occasion qu'est la crise pour essayer de réinventer la pédagogie.”
- Éducation
Bruno Dondero, professeur de droit à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directeur du Centre audiovisuel d’études juridiques, nous parle de l’enseignement en ligne et des mutations que les confinements ont entraîné dans la pédagogie et le rapport à l’éducation.
Vous aviez en quelque sorte anticipé le confinement en filmant vos cours sur Facebook Live. Pourquoi avoir mis en place cette diffusion en direct ? Et pourquoi étiez-vous le seul à le faire ?
Pourquoi est-ce que j’ai mis ces cours en direct sur Facebook Live les années passées, et cette année sur YouTube ? Pourquoi est-ce qu’on fait ça ? Pourquoi est-ce que j’ai pris cette initiative ? Parce que je trouve regrettable que le cours se fasse en amphi et soit perdu une fois que l’heure et demie de cours est terminée. Je trouve ça bien qu’un étudiant puisse soit voir le cours en restant chez lui, soit qu’il puisse le revoir autant de fois qu’il le souhaite parce qu’il reste accessible sur une plateforme. Et puis, ça permet aussi aux étudiants qui sont à l’étranger ou à des personnes qui ne sont pas étudiantes (des demandeurs d’emploi, des professionnels de droit, des lycéens) d’assister au cours sans avoir à se déplacer ou à demander une autorisation particulière.
Pourquoi est-ce que je suis le seul à le faire ? Ça reste pour moi un mystère, je ne comprends pas très bien pourquoi il n’y a pas eu énormément de cours de ce type. Je comprends que c’est stressant, que c’est fatigant, que c’est beaucoup plus simple de parler aux étudiants qui sont devant vous et de ne pas se dire qu’on est filmé, qu’on est en direct, que quelqu’un peut commenter ou reprendre ce que vous dites. Mais finalement, ce n’est pas un effort insurmontable. lI y en a peut-être qui n’ont pas envie qu’on voie que leur cours n’est pas à jour, n’est pas aussi bien que celui du voisin. Je trouve ça vraiment dommage. Ces cours en direct permettent aussi d’échanger avec les étudiants parce qu’en amphi lever la main pour poser une question, ce n’est pas évident. Là, avec le chat, il y a beaucoup de questions qu’on voit passer ou des commentaires qui permettent d’enrichir le cours.
Pendant le confinement, on a beaucoup parlé de continuité pédagogique. Est-ce que vous avez utilisé d’autres outils que Facebook Live pour assurer cette continuité pédagogique ?
On a assuré la continuité pédagogique. La grande différence, c’était les séances de travaux dirigés qu’on a faits en utilisant les plateformes numériques, qui ont permis de faire les TD en distanciel. Pendant le confinement, j’ai mis plus de contenu à disposition des étudiants que je ne le faisais avant le confinement. J’utilisais beaucoup mon blog pour échanger davantage avec eux. Je suis assez sensible aussi au fait qu’il ne faut pas noyer les étudiants sous les contenus et que la fatigue qu’on a à suivre des cours à distance existe aussi. Il faut en tenir compte.
Pourquoi mettre en place des cours à distance ? Comment utiliser le numérique pour repenser la pédagogie ? Quels outils ont été utilisés pour assurer la continuité pédagogique pendant le confinement ?
— La Netscouade (@LaNetscouade) December 11, 2020
Éléments de réponse avec @BrDondero, professeur de droit à la @SorbonneParis1 pic.twitter.com/6lOkhVQjGz
Comment ça s’est passé pour les autres professeurs de votre université ? Est-ce qu’ils étaient prêts à ce confinement, à ce bouleversement ? Est-ce qu’ils ont fait évoluer leur pratique ?
C’est difficile de parler pour d’autres personnes comme moi, mais ce que je vois, c’est qu’il y avait dans l’université au sens large une très grande disparité entre les situations.
Certains ont fait des cours en direct et pourquoi pas, ouverts à tous, mais ils étaient quand même rares, j’ai l’impression. D’autres ont fait des cours qui étaient sur les plateformes restreintes, avec un accès limité aux étudiants de l’université. D’autres encore ont simplement transmis des documents de cours. Donc, de même qu’il y a une grande disparité chez les étudiants pour travailler de cette manière, il y avait une grande disparité dans les contenus. Je crois que cette crise oblige à se poser la question de « qu’est-ce qu’on veut transmettre aux étudiants ? Qu’est-ce qu’on veut comme résultat pédagogique à la fin ? ». On ne peut pas se dire « Oh, l’amphi est fermé, ce n’est plus possible » et tant bien que mal tenter de le transmettre d’une autre manière.
Est-ce que vous vous sentez un peu moins seul aujourd’hui dans vos pratiques numériques à destination des étudiants ?
Un enseignant est souvent seul, surtout quand il expérimente parce que, finalement, on travaille avec les étudiants, mais on a une responsabilité comme enseignant. Je ne sais pas si le fait que tout le monde fasse pareil fait qu’on se sent moins seul. Une fois qu’on a coupé cette considération préliminaire, je crois que c’est important que chaque enseignant se demande, pour sa matière, ce qu’il veut faire en réalité, c’est-à-dire qu’en droit, on donne un cours à faire dans telle matière, vous avez un programme et vous allez présenter les différents éléments de ce programme en creusant plus ou moins. Si vous êtes plus ou moins proche de la pratique, vous aurez plus ou moins d’exemples à donner.
À la fin, votre cours, ce sera le cours que vous aurez choisi de faire. Il n’y aura pas vraiment de contrôle sur la qualité du cours parce que ceux qui pourraient contrôler c’est les étudiants, mais comme vous les notez, ils ne vont généralement pas vous dire pendant l’année qu’ils trouvent que le cours n’est pas comme-ci ou pas comme-ça.
Et finalement, chacun est maître du contenu du cours. Je trouve que cette crise, si elle avait un mérite, ça serait celui d’obliger à repenser ses pratiques et de se dire : « Je faisais mon cours d’amphi et personne ne se posait de questions. Je ne me posais pas de questions moi-même. Ça faisait peut-être 10 ou 20 ans que je faisais le même cours ». Et en réalité, la crise oblige à se demander : « Ok, je n’arrive plus à faire le cours d’amphi. Est-ce que je veux faire mon cours filmé par une webcam ? Ou est-ce que je ne veux pas me poser la question de : l’étudiant qui a bien suivi mon cours, qu’est ce qu’il maîtrise à la fin comme compétences ? Est-ce que, les acquérir avec moi qui lui parle de manière magistrale, c’est la meilleure voie pour y arriver ? Et on peut améliorer beaucoup nos cours en se demandant ce qui est important, ce que l’on veut transmettre et est-ce qu’on ne veut pas ajouter des choses, remplacer du contenu brut par des exercices, par du travail en équipe, par des mises en relation avec des professionnels. Il y a plein de questions qu’on pourrait se poser, le champ est infini.
On peut peut-être profiter de cette crise, avec tout ce qu’elle fait comme complications et comme difficultés, et essayer d’y trouver un petit bénéfice.
« On a une responsabilité comme enseignant [...] je crois que cette crise oblige à se poser la question de ce qu’on veut transmettre aux étudiants ? » @BrDondero, professeur de droit à @SorbonneParis1 pic.twitter.com/2d6g1LoAvZ
— La Netscouade (@LaNetscouade) December 11, 2020
Quels enseignements l’université peut-elle tirer de ce qui s’est passé pendant le confinement ? Comment est-ce que les outils numériques et l’enseignement à distance peuvent donner une perspective nouvelle dans la manière dont les enseignements se font à l’université ?
Cette crise aura obligé beaucoup de gens à se mêler du numérique, en tous les cas, elle aura obligé beaucoup d’enseignants à mettre les mains dans le cambouis alors que souvent, ils regardaient ça d’assez loin en disant : “Moi, je préfère faire un vrai cours”. C’est une phrase que j’ai souvent entendue ces dernières années.
L’enseignement à distance, ce n’est pas un moins bon enseignement, c’est un enseignement qui est plus complexe, plus compliqué à mettre en place. Et la crise, elle oblige ou elle a obligé à se poser des questions sur nos enseignements. Maintenant, je crois qu’il ne faut pas s’arrêter là. Il ne faut pas aller vers le numérique ou vers l’enseignement à distance, comme si c’était quelque chose qu’on devait subir, qui était forcément moins bon.
Sans avoir un discours qui soit exagérément optimiste, il faut voir ça comme une opportunité. Plutôt que de faire notre cours uniquement en présentiel et en racontant des choses aux étudiants qui prennent des notes, il faut se demander : “Est-ce que ça ne permet pas de structurer et reconstruire mon cours différemment, et de le rendre beaucoup plus intéressant ?” C’est ça que je regrette de ne pas lire suffisamment, ceux qui disent simplement : “Ah, c’est triste. J’avais des centaines d’étudiants et il y en a beaucoup moins qui suivent le cours.” Plutôt que de le regretter, ils devraient se poser la question de savoir pourquoi ils ont moins d’étudiants et est-ce qu’ils ne devraient pas faire un effort pour avoir plus d’étudiants en faisant quelque chose de plus intéressant.
Je trouve que cette crise, elle a ce mérite d’obliger beaucoup de gens, beaucoup d’enseignants et d’étudiants à acquérir une compétence. Ça serait triste, bien sûr, de ne plus se voir et de faire cours uniquement par écran interposé. Je préfèrerais qu’on soit en train de prendre un café en ce moment plutôt que de se voir à travers un écran. Mais, ce qu’on est entrain de produire comme échange, on pourra le faire voir à d’autres, et ça serait dommage que ça soit vous simplement qui racontiez : “Oui, j’ai parlé avec un professeur. Il m’a dit que… ça serait bien que vous le rencontriez. Oui, mais je n’ai pas le temps, ce n’est pas possible de le rencontrer.” Et finalement, les choses ne se feront pas.
C’est évident que ces moyens de communication qu’on est en train d’utiliser permettent de toucher plus le public et de créer des choses nouvelles. Encore une fois, je trouve qu’on a le devoir d’essayer de réinventer nos cours plutôt que de se contenter de transmettre un cours magistral. Ça marche d’une certaine manière, les étudiants sont formés, mais je crois qu’on peut mieux les former et rendre nos cours plus attractif et plus intéressant si on profite précisément de ces opportunités que sont la vidéo, la mise en ligne d’exercices plutôt que de se contenter de faire finalement le cours magistral traditionnel.
Est-ce que tous les étudiants sont égaux face à l’enseignement à distance - en termes de capacité de concentration et de sérieux du suivi des cours, mais aussi en termes d’équipements ?
On n’a pas besoin d’un équipement incroyable. J’entends tout à fait la détresse des étudiants qui doivent passer 10 heures chez eux devant leur écran. Je l’entends, je la comprends. Après, je crois que le problème vient de l’enseignant qui considère que trois heures de cours en amphi doivent être remplacées par trois heures de cours devant l’écran. Il n’y a pas besoin d’avoir un gros équipement. Avec un téléphone, on peut déjà faire plein de choses. Tous les étudiants ont un smartphone. S’ils n’en ont pas, il faut les aider à s’équiper, bien sûr.
C’est là qu’on se dit qu’on loupe une opportunité, on loupe une marge parce que c’est précisément cette opportunité de construire le cours différemment qu’il faudrait cueillir. Je crois qu’il faut plus mettre les étudiants en situation, c’est-à-dire leur donner des rendez-vous pédagogiques, leur dire vous regarderez ou lierez ce contenu. Et puis, vous travaillerez en équipe pour produire un contrat, une clause, une assignation… pour faire quelque chose qui leur donne un calendrier.
C’est sûr que c’est plus facile de se donner rendez-vous en amphi, de s’asseoir devant le prof, de prendre des notes et de repartir que d’être chez soi et d’être obligé d’écouter l’ordinateur et puis, de temps à autre, on vous pose des questions. Et voilà, il faut se remobiliser. Je crois qu’il faut vraiment cueillir cette occasion qu'est la crise pour essayer de réinventer la pédagogie.
“L’enseignement à distance, ce n’est pas un moins bon enseignement, c’est un enseignement qui est plus complexe, plus compliqué à mettre en place. [...] Sans avoir un discours qui soit exagérément optimiste, il faut voir ça comme une opportunité.” @BrDondero pic.twitter.com/t0Dk1zctI4
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