09-06-2015
L’économie numérique révolutionne l’organisation du travail
Montée en puissance du travail non salarié, automatisation, travail indépendant... Le monde du travail est transformé par le nouveau contexte de l’économie numérique.
C’est sur ce thème que des innovateurs du monde entier sont venus débattre pendant la troisième édition du OuiShare Fest le mois dernier.
Une matinée y était consacrée à la transformation du travail et nous n’avons évidemment pas manqué le rendez-vous.
La Netscouade est donc allée y faire un tour et a attentivement écouté les nombreux speakers qui animaient ce parcours : Nicolas Colin, Shelby Clarck, fondateur de Peers ou Antonio Casilli, professeur à Telecom ParisTech.
Décryptage des tendances des organisations du travail à l’heure de la mutation numérique des entreprises et de la société…
Let´s debate about "Endgame for jobs, Welcome flexible Work" with @Sara_Horowitz, @shelbyclark, @Nicolas_Colin pic.twitter.com/7VvX7eO0h2
— La Netscouade (@LaNetscouade) May 22, 2015
Le salariat, SO 1999 ?
La transformation numérique s’accompagne de la montée en puissance du travail non salarié. Ce dernier s’illustre à travers différentes formes. Freelances, “moonlighters”, pluri-emplois… Nous avons appris que c’est aujourd’hui plus d’un tiers des Américains qui travaille indépendemment.
Nicolas Debock, investisseur à Balderton Capital qui a introduit le débat du OuiShare Fest, estime que la façon dont nous concevons le travail n’a pas changé depuis la Révolution industrielle. Or, le numérique remodèle profondément les formes du travail. Avec une connexion internet et un téléphone, chacun peut travailler de partout et tout le temps.
Comment le numérique change la façon de travailler @ndebock #OSFest15 pic.twitter.com/jlMNOgq2iI
— Wydden (@wydden_) May 22, 2015
Cela remet évidemment en cause le salariat tel que nous l’entendons, avec ses organisations, ses rythmes et ses contraintes.
Pour Nicolas Debock, nous vivons les dernières années du sacro-saint salariat horaire qui sera remplacé par un paiement à la tâche.
C’est d’ailleurs un combat qui semble cher à Diana Filippova, coordinatrice de OuiShare. Elle estime que notre modèle économique est aujourd’hui trop axé sur le salariat. Elle milite pour un débat pour repenser l’emploi salarié et pour construire les formes de travail qui correspondent au modèle de société dans lequel nous vivons.
Demain, tous indépendants ?
Deux visions de ces nouvelles formes de travail s’opposent.
Les plus optimistes perçoivent une voie vers l’épanouissement et la libération des travailleurs, qui sont gagnants de ce système.
Shelby Clark rappelait d’ailleurs que 75% des travailleurs indépendants citent la flexibilité comme premier critère de sélection de leur travail.
.@shelbyclark : "75% of workers cites flexibility as a factor of selecting where to work (#1 reason)" #CollaborativeEconomy #OSFest15
— La Netscouade (@LaNetscouade) May 22, 2015
Les plus sceptiques voient poindre dans ces changements une précarisation et une fragilisation des travailleurs.
De toute évidence, ces nouveaux statuts, hors du cadre du salariat classique, créent une insécurité et une imprévisibilité qui rendent les travailleurs plus vulnérables.
Selon Sara Horowitz, fondatrice de Freelancers Union, 85 à 88% des travailleurs indépendants se disent satisfaits de leur mode de travail. Cette dernière précise tout de même que la plupart de ces travailleurs doivent faire face à des problèmes d’anxiété.
"Freelancers have the most problems with anxiety wile 85 to 88% say they are happy" @Sara_Horowitz #OSFest15 #Work #Labor
— La Netscouade (@LaNetscouade) May 22, 2015
Par ailleurs, nous vivons un véritable changement de paradigme dans la façon dont est perçu travail indépendant. Hier synonyme de précarité et d’instabilité, il est aujourd’hui moteur d’indépendance et de flexibilité.
Les intervenants du OuiShare Fest ont insisté sur le fait que le coût d’entrée social et psychologique dans un tel système est de moins en moins élevé.
On peut cependant se demander si cette perception n’est pas réductible à une vision américaine et circonscrite au secteur de l’économie collaborative et numérique. Pour Diana Filippova, les travailleurs indépendants sont toujours considérés comme les “outsiders” à la norme du salariat imposée par notre société.
La difficulté des organisations à s’adapter à de nouvelles aspirations
Ce nouveau contexte impose aux organisations la nécessité de se renouveler pour répondre aux aspirations d’autonomie et de flexibilité des individus. En effet, les organisations sont confrontées au défi de réinvention des structures pyramidales classiques. De plus en plus de dirigeants ont bien saisi cette attente et se mettent à “transformer” leur entreprise, à l'instar de Tony Hsieh, CEO de Zappos. Ce dernier est notamment connu pour avoir décidé de mettre le bien-être de ses salariés au coeur de la gestion de l’entreprise.
Les locaux de Zappos à Las Vegas
Tony Hsieh emmène donc la filiale d’Amazon vers un système d’holacratie. Cette forme d’organisation distribue l’autorité et la prise de décision au sein d’équipes autonomes et tournées vers la collaboration. Ce système a été développé en 2001 par Brian Robertson au sein de son entreprise d’édition de logiciels pour mettre au point des mécanismes de gouvernance plus “agiles”. Ce système de gouvernance organise la prise de décision autour de tâches à effectuer et non autour des personnes qui s’en chargent. Les managers et intitulés de poste disparaissent et chaque employé se voit confier plusieurs rôles, associés à des objectifs.
Zappos applique par ailleurs un principe de transparence totale de son fonctionnement vis-à-vis du grand public : n’importe qui est le bienvenu pour visiter le campus de Las Vegas. Des managers du monde entier y font d’ailleurs le voyage pour s’inspirer de ce système. Les entreprises traditionnelles vont donc être amenées à aller vers des organisations plus horizontales, au sein desquelles les principes hiérarchiques sont réinventés.
La montée en puissance du travail à la demande
La fin du salariat s’accompagne d’une montée en puissance du travail à la demande. Le marché du travail est-il amené à devenir une bourse permanente ?
La désintermédiation touche aussi le marché du travail puisque le numérique permet de mettre en relation des tâches avec des internautes n’importe quand et n’importe où.
Au OuiShare Fest, Antonio Casilli affirmait que les tâches étaient devenues le “mécanisme de coordination du travail”.
Le travail à la tâche est facilité par de nombreuses plateformes permettant aux entreprises de faire appel aux travailleurs en les mettant en compétition. Tous les participants ne sont pas rémunérés, mais seulement les gagnants, sur une base de critères variables. C’est par exemple le modèle de l’agence française participative Creads ou son équivalent américain, HitRecord.
La plateforme Creads met en relation des créatifs et des clients
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Des plateformes comme Mechanical Turk d’Amazon ou Freelancers proposent de rémunérer des travailleurs pour effectuer des tâches simples et non automatisables.
La plateforme Mechanical Turk, lancée par Amazon, propose aux internautes d’accomplir des actions simples contre une rémunération à la tâche
Ces mécanismes de travail à la tâche n’épargnent pas les secteurs traditionnels tel que l’automobile puisque le groupe Ford s’appuie aussi sur les communautés de développeurs pour imaginer le véhicule connecté de demain. Le constructeur a mis à disposition son logiciel SYNC AppLink (logiciel de commande vocale) en open source, dans le but de fournir une base commune à l’ensemble des applications mobiles.
Mais que fait l’État Providence ?
Dans un tel contexte, la nécessité d’ajuster la régulation s’impose. En effet, ces nouvelles formes de travail appellent une nouvelle protection qui assure un niveau équitable de sécurité pour tous les citoyens.
C’est ce que Nicolas Colin rappelait. Il exprimait la nécessité pour l’État Providence de se réinventer pour protéger les individus situés hors de ses cadres traditionnels.
"The new jobs are not covered by the Welfare State because there is no category to put you into" @Nicolas_Colin #Work #OSFest15
— La Netscouade (@LaNetscouade) May 22, 2015
La société de l’économie numérique implique de nouveaux risques. Nicolas Colin en a notamment cité deux :
.@Nicolas_Colin : New risks in the #DigitalEconomy : housing and mass intermittent employment #OSFest15 #Work
— La Netscouade (@LaNetscouade) May 22, 2015
- Le premier est celui de la polarisation des emplois. Ce phénomène pose des problématiques de logement qui excluent certains travailleurs. En effet, les nouveaux emplois créés par l’économie numérique sont concentrés dans des villes comme San Francisco, Londres ou Paris. La peur avancée par Nicolas Colin n’est pas celle de voir les machines dévorer les emplois mais l’échec de l’économie numérique à créer des emplois pour des personnes moins éduquées, parce que ces personnes ne peuvent pas se permettre de vivre dans ces centres.
- Le second risque est celui de l’emploi intermittent massif. Si les travailleurs de l’économie numérique cumulent trois emplois, on peut alors se demander quelle forme les emplois publics prendront à l’avenir. Il s’agit d’un impératif pour l’État que d’innover et de proposer des emplois adaptés à ce nouveau marché du travail.
Ces nouveaux risques appellent de nouvelles protections.
.@shelbyclark : "We need new protections" #OSFest15 #Workers #Protection #Regulation
— La Netscouade (@LaNetscouade) May 22, 2015
Le manque de cadre juridique vis-à-vis des travailleurs indépendants ne répond pas à l’exigence d’un État de protéger ses citoyens de manière équitable.
En effet, ces travailleurs indépendants ne sont pas couverts par les mêmes garanties que les employés. D’autant plus que dans l’économie numérique, les entreprises naissent et meurent de plus en plus rapidement.
.@Nicolas_Colin, Co-Founder & Partner @_TheFamily : "We need to reinvent the welfare state to protect us from the risks" #OSFest15 #Work
— La Netscouade (@LaNetscouade) May 22, 2015
D’où l’urgence pour l’État Providence de se réinventer.
Cette adaptation se fait d’autant plus urgente que ce sont des acteurs privés qui se sont réappropriés ces fonctions de protection. C’est le cas d’une organisation comme Freelancers Union (présenté par Sara Horowitz au OuiShare Fest) qui propose des services d’assurance aux travailleurs indépendants américains, qui par définition, ne sont affiliés à aucun régime. L’organisation Peers prend aussi en charge les travailleurs de l’économie collaborative. À travers son programme “Keep Driving”, que nous a présenté Shelby Clarck, l’organisation propose une voiture de remplacement aux conducteurs de co-voiturage et chauffeurs indépendants si leur voiture a été abîmée ou volée.
La question de la rémunération
La question de la rémunération est centrale dans la réflexion sur les nouvelles formes de travail. Elle concerne tout d’abord les travailleurs indépendants et la question du salaire minimum. Nous avons pu voir au OuiShare Fest que cette question divise les plus fervents défenseurs de l’économie collaborative. Si ces organisations permettent de gagner facilement de l’argent en louant sa voiture et son appartement, “l’uberisation” du travail est aussi synonyme de précarité pour ceux qui font ce choix par besoin et qui rêvent d’un salaire minimum.
Il en est de même pour les appels à la foule et autres hackathons : seuls les projets gagnants sont rémunérés, laissant ainsi une partie des participants impayée.
Tous des “travailleurs numériques” qui s’ignorent ?
Par ailleurs, Antonio Casilli milite pour une autre rémunération, celle de ceux qu’il appelle les “travailleurs numériques”.
En effet, en étant connectés, nous partageons et produisons des contenus, des données et créons donc de la valeur. Nous sommes des travailleurs effectuant quotidiennement un travail implicite.
.@AntonioCasilli : "where is the labor in digital platforms ?" #Labor #DigitalEconomy #OSFest15 pic.twitter.com/C3iVZQpToN
— La Netscouade (@LaNetscouade) May 22, 2015
Le 'digital labor' est la manifestation la plus surprenante de la transformation du travail par les plateformes. Ce travail implicite des utilisateurs de plateformes est souvent rémunéré de façon précaire, voire pas du tout.
Antonio Casilli
Nous travaillons gratuitement en “cliquant sur des choses” et créons ainsi de la valeur pour des entreprises.
.@AntonioCasilli about unpaid digital labor : "You just click on things for free" #DigitalLabor #Work #OSFest15
— La Netscouade (@LaNetscouade) May 22, 2015
Nous n’avons même plus besoin d’être “sociables” pour créer de la valeur : à travers la géolocalisation, les codes que nous entrons pour prouver que nous ne sommes pas des robots, nous participons à la création de valeur de plateformes.
L’exemple du Mechanical Turk d’Amazon prouve que certains tâches “doivent” être effectuées par des humains.
Il y a un conflit, une tension à propos de cette valeur, de ces données que nous “donnons”. Nous sommes les fournisseurs non rémunérés des entreprises numériques faisant reposer leur valeur sur notre travail.
De telles revendications permettent aussi de mettre en perspective certaines convictions de l’économie collaborative et de porter un regard plus critique sur certains de ses “mythes”.
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