20-12-2021
La “data” au service des stratégies électorales, entre imaginaire et réalité
- Politique
Simple outil de gestion pour certains, arme de persuasion massive pour d’autres, les avis sur l’utilisation de la “big data” dans le cadre de campagnes électorales divergent. La faute peut-être à un imaginaire collectif construit par les images spectaculaires des élections présidentielles américaines. Pour autant, loin de la fiction, les logiciels de data analyse ont bien leur place dans les campagnes électorales françaises. L’analyse data sera-t-elle le joker qui peut faire pencher une élection d’un côté ou de l’autre ?
Pour répondre à ces questions, nous avons réalisé une interview croisée, avec Joël Gombin, politologue et co-fondateur de la coopérative Datactivist, et Jacques Priol, président de l’association Observatoire Data Publica, association qui étudie les usages des données par les acteurs publics, et président-fondateur-associé de Civiteo une société de conseil qui accompagne les acteurs publics et les entreprises dans leurs stratégies de la donnée.
Qu’apportent les logiciels d’analyse data à une campagne politique ?
Joël Gombin : Je pense qu’avant tout, il faut préciser ce qu'on met derrière le terme de logiciel data, car on y met souvent des choses différentes. Aujourd'hui, on a clairement vu une montée en puissance du rôle du numérique dans les campagnes électorales. Grâce aux outils dont nous disposons aujourd’hui, nous pouvons avoir un impact sur chacune des cibles que nous souhaitons toucher, que ce soient les personnes engagées dans la campagne, leurs sympathisants ou les électeurs, et suivre leur évolution. On utilise différents logiciels CRM (gestion de la relation client, NDLR) tels que NationBuilder, l’outil de référence dans le domaine.
À côté de cela, d’autres outils nous permettent de travailler le ciblage électoral. Les résultats électoraux des élections précédentes sont utilisés pour modéliser les résultats potentiels de la future élection. La solution d’analyse de données sociodémographiques “Cinquante Plus Un” de la start-up Liegey Muller Pons (eXplain aujourd’hui) se base sur ce principe.
Les outils qui projettent les résultats d’élections nationales sont de plus en plus utilisés dans les campagnes électorales et le nombre de personnes formées pour accompagner les candidats aux élections est en constante augmentation !
.@jacquespriol, président de l’association @Obs_DataPublica et CEO de @Civiteo_CS, analyse les différents types d'outils #OpenData qui seront utilisés pour la #Presidentielle2022 dans une interview croisée avec @joelgombin (@datactivi_st) ➡️ https://t.co/GBbcZccmhI pic.twitter.com/f9MGzpc5vR
— La Netscouade (@LaNetscouade) December 21, 2021
Jacques Priol : Il existe deux types de logiciels : certains donnent une estimation des résultats des élections, quand d’autres permettent d’organiser une campagne électorale digitale. Les logiciels qui permettent de projeter les résultats des élections s’appuient sur les données disponibles grâce à l’open data. L’analyse prend ainsi en compte de nombreux paramètres locaux : difficultés économiques, problèmes de logement, les problématiques fiscales, etc. La mise à disposition de ces données est accompagnée d’une couche d'analyse, sous forme de datavisualisation, qui apporte des clés de lecture des résultats de l’analyse. La seconde famille d’outils, qui permet d’organiser une campagne électorale digitale, s'appuie elle aussi sur la data et l’analyse stratégique qu’on peut en tirer, mais elle englobe surtout toute une partie de mise en place du dispositif de campagne sur plusieurs mois, ce n’est pas vraiment le même métier. Les deux types de logiciels sont interdépendants, mais en réalité peu d’acteurs travaillent la data à l’état pur. Pour autant, ces logiciels se présentent tous comme “la solution miracle” qui met la data au service des stratégies électorales.
L’analyse data à connu une évolution importante ces dernières années, notamment en 2017. Que peut-on en attendre pour les prochaines échéances électorales de 2022 ?
L'usage des #data pour la #Presidentielle2022 décrypté par @joelgombin (@datactivi_st) : "En 2017, on était plutôt dans une phase de maturation et d'appropriation des outils de data, mais finalement, il y a eu moins d'innovations qu'en 2012 !" ➡️ https://t.co/GBbcZccmhI pic.twitter.com/7N71xLVZwM
— La Netscouade (@LaNetscouade) December 21, 2021
Joël Gombin : Paradoxalement, en 2017, je pense qu’il s’est passé moins de choses qu'en 2012. Le porte-à-porte auprès de 5 millions de foyers français organisé par LMP (NDLR : eXplain aujourd’hui) dans le cadre de la campagne de François Hollande a été efficace, les analyses data menées, qui se voulaient d’une précision scientifique, l’ont montré. En France, on a assez peu d’éléments objectifs sur l’efficacité de ces outils, cette expérience en est une !
En 2017, c'est surtout la “Grande Marche” du côté de La REM avec Macron qui a été mise en scène. Néanmoins, on a très peu d'éléments pour savoir à quel point ce fut une opération de communication et à quel elle a nourri le programme du candidat.
De mon point de vue, les outils d’analyse data utilisés en vue de l’élection de 2012 étaient innovants, ceux qui l’ont été en 2017 se situaient dans la prolongation. 2017 était une phase de maturation et d’appropriation plus profonde des outils data...
En ce qui concerne 2022, pour le moment, je ne sens pas poindre de révolution déterminante ou massive, mais on verra. Je pense qu’il faudra être attentifs à l’usage des outils d'analyse data dans les campagnes présidentielles, mais il ne faudra pas oublier de s’intéresser à celui qu’en feront les candidats aux campagnes législatives. Ces dernières sont des plus petites campagnes, avec des moyens humains et budgétaires limités - j’ai hâte de voir ce qu’elles nous préparent : auront-elles de grandes ambitions ou resteront-elles sur des campagnes traditionnelles ? Je parierais plutôt sur une forme de retour aux basiques avec des équipes de campagnes assez minimalistes. Je pense que les armes qu’elles prendront seront celles de la défense, je ne les sens pas très offensives. C’est ce que je présage, mais ça reste de la boule de cristal !
Jacques Priol : 2017 a été une étape importante pour deux raisons. D’abord, certaines technologies, qui font de la gestion de fichiers classique, de la veille ou encore celles qui permettent d’organiser des campagnes digitalisées, sont arrivées à maturité. De plus, pour la première fois, les équipes de direction de campagne se sont saisies de la data comme axe de travail indispensable. La “propagande” classique, qui comprend la diffusion du programme par exemple, se distingue vraiment de la partie digitale de la campagne, qui a elle besoin de data et de ciblage. Grâce à une étude menée en 2017 auprès de 3 000 équipes de campagne pour les législatives (nous avons reçu 300 réponses de tout bord politique, ce qui est plutôt significatif), nous avons compris que dans beaucoup d’équipes des campagnes, le militant un peu geek a aujourd’hui un rôle central, au cœur de la stratégie digitale de la campagne.
Pour 2022, je n'ai pas le sentiment qu'il y ait une croissance de l’usage des outils aussi forte que ce qu'on avait imaginé. En effet, lors des municipales de 2020 et régionales de 2021, il y a eu un coup d’arrêt qui se traduit notamment par le retrait de NationBuilder, un acteur majeur du sujet sur le marché français, et le retrait d'Explain du champ de la data politique. Leur absence n’est pas anodine ! On l’explique d’abord par le fait qu’un certain nombre de candidats ont craint, lors des municipales et régionales, un effet boomerang des outils d’analyse data et de le bad buzz sur l’utilisation des données. Et puis, il y a aussi un autre problème. La data est maintenant disponible en grande quantité et permet de comprendre les territoires en profondeur : comment ils fonctionnent, quelles sont les difficultés locales, qui sont les électeurs, quels sont leurs comportements probables ou possibles… La data a dorénavant une grande maturité. Les outils de présentation de ces données ont également un niveau de performance assez bluffant par rapport à ce qui existait, ne serait-ce qu'en 2017. Pour autant, dans les équipes de campagne, on a du mal à avoir les équipes compétentes pour exploiter ces données et pour en faire un usage réellement stratégique qui justifie l'investissement. Et pourtant, le défi est de taille.
Plus la circonscription électorale est importante. Plus les éléments stratégiques qui sont recueillis à travers la donnée ont de la force, du sens et probablement de l'efficacité. Il est plus facile d'exploiter de la data sur une campagne nationale car la masse de données est plus globale. On commence déjà à voir les prémices de leur stratégie. En tout état de cause, l’usage des données pour les présidentielles sera plus important que pour les municipales.
Que présage, selon vous, la nomination de Christian Bombrun à la tête de la stratégie numérique chez “En Marche” ?
Joël Gombin : Je ne suis pas dans le secret des dieux donc je ne peux pas savoir ce que ça présage. Mais je pense que l'équipe Macron, à la fois pour des raisons politiques et sans doute par une forme de familiarité culturelle avec les Français, a une vision très numérique de la campagne. Ce type de campagne traduit aussi une faiblesse politique de la structuration du mouvement LREM. Ils ont des référents locaux qui sont souvent très faibles mais aussi des députés dont l'ancrage électoral du terrain est très variable selon les circonscriptions ou qui sont mal placés pour défendre leur circonscriptions. Quelque part, pour cette campagne, je pense que c'est une nécessité qui fait loi de se dire que le numérique va être un vecteur majeur.
Mais on voit bien que finalement, ceux qui se sont engagés dans une campagne digitale, en dehors du président Macron, sont des candidats qui n'ont aucun ancrage de terrain ni parti. Zemmour par exemple, aujourd'hui sa seule existence elle est numérique, dans les médias, etc. Mais il n'a pas de machine politique ancrée dans le terrain derrière lui. Est-ce que ce sera un pari gagnant ou pas ? On verra.
Mais je ne suis même pas sûr qu'on aura beaucoup d'éléments de réponse dans la mesure où, aujourd'hui, le paysage est tel que Macron n'a pas véritablement de concurrent capable de l'emporter. Il a des adversaires, certes, mais est-ce qu'il y a quelqu'un qui, de manière réaliste, peut dire “je vais gagner l'élection présidentielle” ? Personnellement, je ne le pense pas. Donc, au final, est-ce qu'il aura gagné faute de véritable concurrent ou parce que la campagne était meilleure ? Ce sera difficile à dire.
Jacques Priol : En 2017, “La République En Marche” a énormément utilisé la donnée en étant transparent sur son usage et très concret dans ses applications. Les outils développés ont été utiles aux candidats à la présidentielle mais aussi aux candidats aux législatives. Je ne sais pas si “La République En Marche !”, en fera davantage cette fois-ci. Peut-être en feront-ils un peu moins sur certains aspects. Je pense au phoning, notamment, sur lesquels la CNIL avait beaucoup à redire sur la manière dont ils avaient utilisé le ciblage téléphonique. D'autres partis politiques s'y sont mis au fil des ans. Pour ma part, je ne suis pas convaincu qu'il y aura beaucoup plus de data en 2022 qu'en 2017. Néanmoins, je pense que l'utilisation des données personnelles des électeurs à des fins de ciblage va se développer. On l'utilisera davantage c’est certain, tout est respectant, je l’espère, le règlement général sur la protection des données (RGPD).
Les Etats-Unis sont la référence en matière d’utilisation de la data à des fins électorales, peut-on la comparer à l’utilisation que l’on en fait en France ?
Jacques Priol : Il y a deux différences notables. Avec le RGPD, on ne fait pas la même chose que sans le RGPD et c'est tant mieux. De toutes façons, je pense que nos concitoyens n'accepteraient pas d'être ciblés de façon personnelle, systématique, massive, comme ça peut être le cas aux Etats-Unis, et cela produirait des effets contre productifs d'un point de vue électoral.
Mais il y a une autre raison tout à fait essentielle, c'est le plafonnement des dépenses des campagnes électorales en France.
La data coûte cher contrairement aux États Unis où les budgets sont no limit. Ils peuvent donc se permettre de faire une campagne entièrement pilotée par la donnée, avec un ciblage extrêmement fin et avec des choses assez bluffantes d'un point de vue technologique - voire même inquiétantes par rapport aux libertés individuelles et à la manière dont les électeurs sont traités.
Joël Gombin : Si on prend l’exemple des outils basés sur le ciblage : le ciblage géographique n’est pas aussi important dans le système électoral français que lors des élections présidentielles américaines. On a tous un peu cet imaginaire du “swing states” qui va permettre de gagner du terrain et sur lequel toutes les énergies vont se concentrer. Les élections américaines sont aujourd’hui celles qui utilisent le plus ces outils de ciblage. En France, nous n’avons pas trop ce système de territoire qui pourrait faire basculer les résultats des élections. Il me semble donc que ces outils de ciblage sont moins déterminants dans nos élections, même s'il y en a un certain nombre sur le marché.
Toute la partie CRM (gestion de relation client) reposent sur des données personnelles, a fortiori sensibles, puisqu'on s'intéresse à l'opinion politique ou au comportement politique des gens. Donc, bien sûr, il y a une très forte sensibilité. D'ailleurs, la CNIL ne s'y est pas trompée puisqu'elle veille au grain sur ces campagnes en auditant ou en conseillant les campagnes.
N’oublions pas que les citoyens sont très sensibles à ce sujet-là. Pendant les campagnes électorales, on remarque aussi qu’il y a énormément de saisine de la CNIL car certains citoyens ne comprennent pas pourquoi ils ont reçu tel SMS par exemple. Pour autant, je pense qu'il faut bien souligner un point essentiel : nous sommes nourris par l'imaginaire américain où les big data sont capables d'agréger des centaines, voire des milliers de variables par individu provenant de sources très diverses. Ça n'existe pas en France, il faut bien le savoir. En France, on n'a pas le droit de vendre des données personnelles sur les individus sans leur consentement.
Aux Etats-Unis, tout le dispositif repose sur la capacité de suivi de la transformation ou la mobilisation des individus. En France, on n'est juridiquement pas capable de faire ça. Donc, on a quand même un niveau de protection de la vie privée qui n'a rien à voir avec ce qui peut avoir un statut.
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