28-03-2022
La narration Netflix au secours de la #presidentielle2022
- Politique
L'échéance présidentielle de cette année a vu naître des stratégies de communication qui rappellent étrangement les codes d’adaptation des séries de la plateforme Netflix, voire même de la charte graphique du géant américain. Pour analyser cette tendance, et savoir si l’on a affaire à une netflixisation de la communication politique, François d’Estais chef de projet éditorial chez Havas et Raphaël Llorca expert associé à la fondation Jean Jaurès et auteur de “la marque Macron”, ont accepté de répondre à nos questions afin de nous éclairer sur l’origine de cette tendance mais aussi sur les impératifs des candidats en matière de communication dans la campagne présidentielle de 2022.
Pouvez-vous nous livrer votre analyse sur le premier épisode de la série “Emmanuel Macron, le Candidat” ? Assistons-nous à une campagne “Netflix” ?
F.E : Le goût de la mise en scène d'Emmanuel Macron n’est pas totalement nouveau. Tout le quinquennat a été fait de séquences, prévues aussi pour la télévision, pour les réseaux sociaux. En revanche, ce qui change c'est que nous avons affaire à une mise en scène relativement statique avec une interview dans son bureau à l'Elysée, là où, en 2017 nous avions le candidat qui était toujours en mouvement, toujours “en marche” avec un Facebook Live systématiquement embarqué derrière lui.
Un deuxième élément marquant, c'est que nous sommes sur un format propriétaire. Contrairement au documentaire qui avait vraiment marqué la campagne de 2017 “Les coulisses d'une victoire”, qui lui, avait été réalisé par un journaliste, par une boîte production, et diffusé sur un média, TF1. Ce qui a contribué à lui donner une forme de crédibilité du point de vue de l'authenticité. On se rend compte dans la série d’Emmanuel Macron que l'on est dans un exercice plus contrôlé, avec des éléments de langage qui sont très répétés. Par exemple, le mot “humilité” revenait extrêmement souvent, on pouvait donc suspecter un manque d'authenticité, de spontanéité dans ces échanges.
La narration Netflix au secours de la campagne #presidentielle2022.
— La Netscouade (@LaNetscouade) March 25, 2022
🎙Entretien avec @fdestais pic.twitter.com/rDn3AiNGfa
Concernant l’idée de “campagne Netflix”, il y a une volonté, assez prégnante chez tous les candidats, de vouloir maîtriser le récit. Non seulement le récit politique du candidat, mais aussi le récit des coulisses. Jean-Luc Mélenchon suit la même logique et depuis très longtemps, il en est d’ailleurs au douzième épisode de sa série. De son côté, Eric Zemmour scénarise avec des petites capsules qui ont vocation à mettre en avant le côté “sympathique” du candidat. Les scènes où il joue au bowling, ou dans lesquelles il va rire avec ses équipes sont de bons exemples de scénarisation à la "Netflix". Par ailleurs, Eric Zemmour à la capacité de sans cesse recréer du rythme dans sa campagne. On le voit bien dans son clip de de campagne : il y trace un récit simpliste, un ressort rhétorique assez classique peur/solutions avec des images extrêmement marquantes et violentes. Cette approche émotionnelle, très vive, presque agressive sature les perceptions cognitives du spectateur qui regarde la vidéo qui n'est dès lors plus en capacité d'examiner la validité des arguments.
R.L : Effectivement, j'avais fait une hypothèse en travaillant sur l'extrême-droite selon laquelle il y aurait une façon d'écrire les récits de campagne politique, ils seraient tous des réécritures. Au fond, on vivait encore jusqu'à récemment dans le paradigme de l'écriture médiatique qui était le paradigme de Jacques Pilhan, le conseiller communication de Mitterrand et de Chirac. Il disait que, dans une ère où les imaginaires sont façonnés par les médias et par quelques grands médias, et surtout par la télévision, l'art d'une campagne politique, c'était de réussir avec une stratégie de présence et d'absence sur quelques grands médias. À son époque, le médium culturel c’était la télévision, mais il m'a semblé que ces dernières années, il y a un autre médium culturel qui est devenu de plus en plus dominant, et qui sont effectivement les séries. Le bon critère pour le savoir c'est Régis Debray qui nous le donne : le médium dominant d'une époque, c'est celui qui tient éveillé les adolescents la nuit. On observe en effet une influence de la consommation des séries dans la sphère individuelle, sur notre façon d’acheter et sur nos attentes, surtout de la part des récits politiques.
Je dis que nous sommes dans une ère Netflix, car il y a une capacité à avoir des récits politiques qui sont aujourd'hui façonnés, non plus par des écritures médiatiques, mais par une écriture que nous pourrions qualifier d'écriture scénaristique, c'est-à-dire écrire des récits politiques à la façon d'une série.
«Toudoum». Quand les candidats s'inspirent des codes de Netflix #presidentielle2022 https://t.co/INvl3858HF pic.twitter.com/stvcixi4MJ
— La Netscouade (@LaNetscouade) March 23, 2022
Pour en revenir à l'épisode de Macron, c’est intéressant de voir qu’il reprend explicitement les codes de la série avec cette idée de feuilletonner grâce à la diffusion d’un épisode par semaine. Mais ce qui va être intéressant, ce sont les prochaines semaines, et notamment sa capacité à créer des arcs narratifs, car l'une des spécificités des séries c'est leur capacité à avoir des formes de récit parallèles avec des personnages, des obstacles, des quêtes et des adjuvants variés.
Dans son cas, on voit bien que l'une des difficultés dans cette campagne, c'est de faire coexister son statut de président et son statut de candidat. Ce format série est très intéressant dans ce cas précis parce qu'il lui permet de creuser des arc narratifs qui le différencient réellement des autres candidats et typiquement, il va pouvoir avoir un ton, une posture, des mots très différents des autres candidats en campagne. Je trouve qu'utiliser les codes Netflix est une façon assez intelligente de réintroduire des arcs narratifs différents.
Est ce que dans cette “campagne Tefal où rien n’accroche”, le principal impératif des candidats est d’abord d’attirer l’attention, de construire un récit plutôt que de faire des propositions politiques ?
F.E : Cette expression de Brice Teinturier est assez juste parce qu'on sent bien que dans cette campagne, on a du mal à avoir une vraie discussion politique. C'est certainement beaucoup parasité par le contexte qui, depuis quand même deux ans, ne laisse aucune prise aux oppositions, notamment du fait de la crise sanitaire où on en est réduit à commenter des mesures techniques et où il est très difficile d'aborder d'autres sujets et de se projeter sur plusieurs années. Le seul qui le fait mais avec un peu de visibilité, c'est certainement Emmanuel Macron dans son costume de président avec “France 2030”.
Le conflit ukrainien ajoute aussi une difficulté à proposer des mesures capables de retenir l'attention de l'opinion. Et c'est d'ailleurs ce qui désespère un certain nombre de cadres politiques quand on lit les articles. Beaucoup d'entre eux estiment qu'en fait, ils auraient juste besoin d'une mesure qui accroche pour avoir la capacité à retenir. On ne vote pas seulement en fonction des propositions, mais aussi en étant guidé par des émotions, par des ressorts plus irrationnels. On est donc porté par l'image des candidats. Et effectivement, c'est un impératif pour un candidat, pas seulement dans cette campagne, mais aussi dans toutes les précédentes.
R.L : On le voit, on a un marché politique qui est structurellement défini par une forme d'indifférence. Cette campagne est structurée par le registre émotionnel de la fatigue. C’est le premier état d'esprit critique qui collait lorsqu'on interrogeait des Français sur quelle était leur situation à un instant “T”. Il faut savoir qu’il y a quelques semaines seulement, un français sur deux n’avait pas parlé de la campagne à l’un de ses proches. Ce sont des chiffres qui sont extrêmement perturbants dans une campagne présidentielle qui, en principe, est le point d'orgue de la vie démocratique française.
Dans ce contexte-là, ce ne sont pas les propositions qui arrivent à émerger, ce ne sont même pas des thèmes. Selon les enquêtes d'opinion, les grands sujets de préoccupation des Français sont l'environnement, le système de santé, le pouvoir d'achat, et cette campagne n'arrive pas à imposer ces thèmes-là. Il y a aussi un autre impératif qui émerge, celui de créer la surprise, de percer le mur du son, de susciter de l'intérêt, de recréer, comme disent les experts, des conditions d'écoute, qui est l'impératif numéro un pour réussir à émerger.
Cette capacité à creuser des personnages plutôt que des propositions, de créer du rythme et de la surprise plutôt que de la cohérence, ce sont des impératifs qui sont complètement différents et qui ont plutôt propension - en principe - à légitimer ceux qui arrivent à maîtriser ses codes.
Existe-t-il d’autres exemples de campagnes Netflix ?
F.E : Je pense que nous découvrons tout cela en ce moment avec le profil du président Zelensky en Ukraine qui a d'abord incarné à la télévision le rôle du président ukrainien avant de le devenir réellement quatre ans plus tard. TMC a récemment fait un documentaire sur son histoire personnelle. On s'aperçoit que son personnage de série a finalement été transcrit dans la réalité jusqu’au nom de son parti politique qui reprend le nom de la série dans laquelle il a joué. Quand on voit les images de son investiture il y a quelques années, elles reprennent presque à l'identique les images de son investiture dans la série. On a ici un exemple assez troublant et assez frappant d'une réalité scénaristique qui inspire la réalité politique.
On peut aussi citer l'exemple d'Edouard Philippe qui, quand il était premier ministre, admettait s'inspirer des personnages de "The West Wing", et notamment de la tonalité du président Bartlet, pour donner ses conférences de presse.
R.L : Moi, je dirais qu'il n'y a pas d'autres exemples de ce type en France. Pour la simple et bonne raison qu'il ne suffit pas de se réclamer d'un vocabulaire Netflix pour faire une campagne Netflix. Par exemple, j'avais été frappé par la parution du logo de Marine Le Pen. En effet, le “M” pour “M. La France” avait une apparition qui ressemblait beaucoup à l’apparition du “N” de Netflix. À l'époque, Philippe Olivier, député européen du Rassemblement National, dans Le Figaro, disait “on s'approprie les codes de la génération Z, de Netflix des séries, etc.” En réalité, il ne suffit pas d'avoir ce type de gimmick, qu’il soit visuel, dans le discours ou dans la justification a posteriori pour pouvoir faire une campagne Netflix”. Ces campagnes, sont liées à une forme d'écriture à part entière, que ce soit dans la gestion du rythme, dans la gestion du personnage, dans la gestion de la surprise. Et la majorité des candidats ne sont pas du tout dans ce type d'écriture.
On pourrait penser à Jean-Luc Mélenchon qui s'en réclame un peu, cependant l'extrême-droite se rattache beaucoup plus à ce type d’écriture. Eric Zemmour adopte ces nouveaux codes du récit, telle que l'extrême-droite le faisait déjà dans le passé. Utilisant les codes contemporains nouveaux, l'extrême-droite ressort son logiciel poussiéreux et le revêt du "cool" avant-guardiste afin de dédramatiser le contenu xénophobe de ses propositions et s'inscrivant ainsi dans une forme de modernité complètement détachée du conservatisme.
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