29-01-2021
L'éducation aux médias peut-elle venir à bout de l'épidémie de fake news ?
Polémique sur la chloroquine, documentaire Hold-up, Covid-scepticisme : la pandémie a charrié son lot de fake news. Autant de sujets délicats et complexes à aborder à l’école. Un professeur de SVT a-t-il plus de légitimité qu’un prix Nobel complotiste pour expliquer à des adolescents l’origine du Sars-CoV2 ? Quel peut être le rôle de l’éducation aux médias dans des controverses scientifiques qui, en temps de pandémie, nous concernent tous ?
Visionné plus de 6 millions de fois sur Internet, le documentaire « Hold Up » est devenu un blockbuster du complotisme. Un tel phénomène de société déborde nécessairement dans les écoles. Comment répondre quand un élève rapporte à son professeur que « ça y est, ils ont découvert la vérité sur le coronavirus » ? Interrogé par Le Point, Serge Barbet, directeur délégué du Clemi (Centre pour l'éducation aux médias et à l'information), estime que l’école n’est pas un sanctuaire hermétique à l’actualité : « Il ne s'agit pas de passer le film sous silence, ni d'appeler les enseignants à le visionner d'urgence, ils ne peuvent faire l'exégèse de toutes les théories du complot diffusées sur Internet ».
"Ça y est ils ont découvert la vérité sur le coronavirus" m'ont dit les élèves à propos de #HoldUp, dont certains extraits tournent sur snap et insta. Ce documentaire a atteint un public que le fact-checking à son sujet n'atteindra jamais. Les dégâts sont considérables.
— Rachid l'instit (@rachidowsky13) November 13, 2020
Est-ce que l’on peut vaincre le flux des fausses informations, des manipulations, des entreprises de propagande ? Est-ce que l’on peut lutter contre ce phénomène par l’éducation aux médias et à l’information ?
— La Netscouade (@LaNetscouade) January 29, 2021
👉 Éléments de réponse avec @SergeBarbet, directeur du @LeCLEMI pic.twitter.com/EOAROkyaOc
De plus en plus de théories complotistes investissent le champ scientifique, que ce soit sur la pandémie, les vaccins ou le réchauffement climatique. « Les questions de santé sont un terrain extrêmement fertile pour les complotistes », explique Antoine Bristielle, chercheur en science politique. « Avant le début de la pandémie, la théorie conspirationniste la plus répandue en France était celle d’un complot entre le gouvernement et l’industrie pharmaceutique pour cacher la réalité sur la nocivité des vaccins. Une théorie à laquelle 55 % des Français adhéraient ». Traditionnellement dévolue aux professeurs de français et d’histoire-géo, l’éducation aux médias devient également par la force des choses une prérogative des profs de sciences, et plus largement de tous les enseignants confrontés par leurs élèves à ces questions.
“Les questions sanitaires c’est une base fertile pour les théories conspirationnistes […] parce qu’il y a beaucoup de peur, d’incompréhension et d’incertitudes” @A_Bristielle, professeur en sciences sociales @j_jaures pic.twitter.com/iiJBXL5X2h
— La Netscouade (@LaNetscouade) January 29, 2021
Aude Favre est présidente de FakeOff, une association de journalistes qui interviennent auprès de collégiens et de lycéens pour les former à la lutte contre la désinformation. Face à un objet aussi complexe que Hold Up, elle recommande aux enseignants de se faire aider par des professionnels de l’information : « Ce serait intéressant de regarder le film puis dans la foulée une vraie investigation journalistique, et de se demander - avec les élèves - quelle est la différence. Dans une enquête, il y a des droits de réponse, il y a des confrontations. Dans Hold Up, l’Institut Pasteur est accusé d’avoir créé la Covid, mais à aucun moment le documentaire n’est en mesure de répondre à cette affirmation. »
“Ce serait intéressant de regarder Hold Up, puis de regarder une vraie investigation journalistique. Quelle est la différence ? Ça peut être un exercice intéressant d’autant plus que la différence est massive” Aude Favre, présidente de l’association @WTFake_ pic.twitter.com/WAkkIrhedb
— La Netscouade (@LaNetscouade) January 29, 2021
L’éducation aux médias, un rôle central dans le paysage mouvant du complotisme
Le succès de Hold Up pose un réel conflit de légitimité au sein de l’institution scolaire : quand le prix Nobel de médecine Luc Montagnier avance que le virus a été produit en laboratoire, quelle est la crédibilité d’un professeur de français ou de SVT pour remettre en cause son expertise ? Cela peut néanmoins être l’occasion d’aborder en classe la question du consensus scientifique : même bardé de diplômes et de récompenses, un scientifique peut se tromper s’il est le seul à défendre sa thèse.
Aude Favre est persuadée que l’éducation aux médias peut jouer un rôle central dans ce paysage mouvant du complotisme : « On ne peut pas penser régler le problème de la désinformation de masse sans faire de l’éducation aux médias de manière tout aussi massive ». Chercheur spécialisé dans le complotisme, Tristan Mendès-France, souligne également le rôle clé de l’école : « La dérégulation du marché de l’info en ligne, le bouleversement de la manière dont les jeunes générations s’informent ont fait émerger un écosystème qui a une caractéristique terrible : il est marqué par le nivellement des paroles d’autorités. L’éducation aux médias doit s’emparer de ce problème en particulier dans ce moment précieux de l’enfance pris encore dans le système éducationnel : il est plus que jamais là pour donner des codes et des pratiques qui protègent et construisent. »
Si l’éducation aux médias est inscrite dans les programmes scolaires, aucun créneau horaire n’y est spécifiquement dédié. D’après une étude du Cnesco, seuls 52 % des élèves de 3e déclarent que la thématique des médias a été abordée en cours d’enseignement moral et civique (EMC) lors de leurs années de collège et 56 % des élèves de Terminale lors de leurs années de lycée. Le sujet fait pourtant partie du programme d’EMC. « Les enseignants ne sont suffisamment formés à l’éducation aux médias et ne sont donc pas toujours à l’aise pour parler du complotisme à leurs élèves », déplore Marie-Pierre Gariel, auteure d’un rapport du CESE sur l’éducation aux médias. En 2019-2020, le Clemi a formé 11.806 enseignants à l’éducation aux médias. Cela correspond à seulement 1,36 % des effectifs.
« Chacun doit prendre sa part »
Pour pallier ce manque de formation, les journalistes sont prêts à apporter leur contribution. A la suite de l’assassinat de Samuel Paty, 125 professionnels de l’information avaient signé une tribune dans Le Monde : « Chacun doit prendre sa part », estimaient-ils. « Beaucoup d’enseignants, bien conscients de l’enjeu, font ce travail [d’éducation aux médias]. Mais ils nous disent qu’ils souhaiteraient être formés, ou mieux formés quand ils le sont. Ils expriment souvent le sentiment d’être seuls, démunis, craignant parfois d’aborder des sujets d’actualité et que ça dérape. Comment réagir face à des propos haineux, complotistes ? ». Premiers à affronter au quotidien la désinformation, les journalistes sont probablement les mieux placés pour former la jeunesse à ces enjeux. Le CESE préconise ainsi de sensibiliser les journalistes à l’éducation aux médias lors de leur formation initiale.
Les personnes les plus perméables à la désinformation ne sont pas toujours celles que l'on croit. Si de nombreuses études montrent que moins les personnes sont éduquées, plus elles vont avoir tendance à adhérer aux théories conspirationnistes, le débat autour des questions sanitaires a montré qu’il existe des exceptions. Antoine Bristielle a mené une étude remarquée sur les anti-masques : dans les groupes Facebook contestataires, on remarque qu’on a affaire à des personnes qui ont un niveau d’éducation assez élevé, en moyenne un bac +2. L’éducation ne fait pas tout : « L’adhésion au conspirationnisme est aussi liée à une défiance envers les institutions politiques et les institutions scientifiques, contre laquelle l’éducation aux médias peut difficilement agir », tempère Antoine Bristielle.
À lire : les interviews complètes d'Antoine Bristielle, d'Aude Favre et de Serge Barbet.
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