24-09-2020
Pendant ce temps sur Facebook, Trump a géré formidablement la pandémie
Sur le papier, la voie vers la Maison-Blanche semble toute tracée pour Joe Biden. Mais les sondages peuvent être au beau fixe, chez les démocrates, nul n’a oublié la déconvenue d’Hillary Clinton, terrassée par Trump malgré son statut de grande favorite. Quiconque voudrait doucher son optimisme n’a qu’à se rendre sur un célèbre réseau social : Facebook.
Sur le papier, la voie vers la Maison-Blanche semble toute tracée pour Joe Biden. Le candidat démocrate caracole en tête des sondages nationaux avec 7 points d’avance et se présente en très bonne posture dans les swing states du Minnesota, de l’Arizona et du Wisconsin. Le site d’analyse de datas Fivethirtyeight lui donne ainsi 77 % de chances de l’emporter. Les sondages peuvent être au beau fixe, chez les démocrates, nul n’a oublié la déconvenue d’Hillary Clinton, terrassée par Trump malgré son statut de grande favorite. Quiconque voudrait doucher son optimisme n’a qu’à se rendre sur un célèbre réseau social. « Écoutez bien, les gens de gauche. Si vous pensez qu’il est impossible que Donald Trump soit réélu en novembre, allez donc jeter un œil sur Facebook », écrit le journaliste Kevin Roose dans le New York Times.
Roose n’est pas journaliste politique, il est journaliste tech. C’est ce qui le rend d’autant plus inquiet. «Je suis plongé depuis plusieurs années dans les datas des pages Facebook, déclare-t-il sur CNN. Et je suis frappé de voir à quel point la droite pro-Trump est dominante dans les derniers mois. La presse mainstream ne comprend pas du tout ce qu’il se passe sur Facebook. C’est un univers réellement parallèle, dans lequel Trump a géré magistralement la crise du Covid et dans laquelle les émeutes autour de Black Live Matters à Portland sont l’info la plus importante au monde».
Un podcasteur loin devant les grands médias
Kevin Roose publie chaque jour sur un compte Twitter dédié le top 10 des sources des posts recueillant le plus d’interactions sur Facebook. Ce classement est trusté par des pages conservatrices pro-Trump. Un nom revient sans cesse, celui de Ben Shapiro, un jeune éditorialiste, coqueluche de l’alt-right, très actif sur Facebook, YouTube ou Twitter. Les chiffres sont à peine croyables : Ben Shapiro a reçu sur sa page Facebook 56 millions d’interactions au cours du dernier mois, soit plus que les pages du New York Times, du Washington Post, de NBC News et d’ABC News réunies.
For visual learners, I made a chart showing Ben Shapiro's Facebook interactions in the past 30 days, compared to ABC/NBC/NYT/WaPo/NPR.
— Kevin Roose (@kevinroose) August 28, 2020
More data in my column on how the right is absolutely dominating on Facebook: https://t.co/chgpbphair pic.twitter.com/yM3sAry4GT
Cette domination dans l’algorithme permet aux conservateurs d’imposer leur récit dans les fils d’actualités – et incidemment dans les foyers américains. Les deux posts les plus partagés ces 6 derniers mois au sujet de Black Lives Matters sont des vidéos des Hodgetwins, deux jumeaux trumpistes noirs qui estiment que l’injustice raciale est un « mensonge de la gauche ». Dans la confortable bulle de filtres que constitue un fil Facebook, Black Live Matters n’est qu’un mouvement d’émeutiers et de pillards, soutenu en sous-main par Joe Biden.
43 % des Américains s’informent sur Facebook
Kevin Roose fait l’hypothèse que ce maquis de pages Facebook ultra-partisanes reflète la « majorité silencieuse », cette Amérique qui n’est que peu représentée dans les médias et qui échapperait aux instituts de sondage. Donald Trump fonde son inaltérable confiance sur l’existence de cette foule taiseuse : « La campagne Trump a plus d'ENTHOUSIASME que toute autre campagne dans l'histoire de notre grand pays - même plus qu’en 2016 », a tweeté le Président. « Biden n'en a AUCUN ! La majorité silencieuse s'exprimera le 3 NOVEMBRE ! Les faux sondages et les fake news ne sauveront pas la Gauche Radicale. »
Facebook n’est évidemment pas le seul terrain de jeu de la droite. Fox News et les chaînes de radio conservatrices constituent d’autres puissantes sources d’infos pour cet électorat. Mais Facebook, du fait de son taux de pénétration, joue dans la cour des grands médias (et peut-être, même au-delà). D’après la dernière enquête du Pew Research Center, 70% des adultes américains utilisent Facebook et 43% s’informent sur le réseau.
L’ultra-domination des conservateurs sur Facebook peut en partie s’expliquer par le ton de leurs interventions. C’est une donnée désormais bien connue : les messages les plus agressifs sont souvent ceux qui provoquent le plus d’engagement. « Il y a un biais algorithmique qui favorise la haine, la négativité et la colère », explique le stratège démocrate Shomik Dutta. Un polémiste de l’alt-right produit des contenus bien plus adaptés au news feed Facebook que les journalistes du New York Times.
Zuckerberg et sa casquette MAGA
Alors qu’il n’y dispose pas des relais d’opinion de Trump, Joe Biden tente de reprendre du terrain sur Facebook en investissant massivement dans la publicité. Longtemps distancé en volume publicitaire par la force de frappe de son concurrent, Joe Biden a fait jeu égal avec Donald Trump sur le mois d’août, dépensant en moyenne 5 millions de dollars par semaine.
Inévitablement, à quelques semaines de l’élection, les regards se tournent vers un certain Mark Zuckerberg. Bloomberg l’a récemment placé en couverture de son magazine, affublé d’une casquette MAGA (« Make America Great Again ») et ce titre « Quoi ? Moi, partisan ? ». Répondant à l’article de Kevin Roose, le patron de Facebook a nié farouchement que le réseau soit devenu une chambre d’écho de la droite conservatrice. Si Zuckerberg reconnaît que « le contenu partisan a souvent un pourcentage plus élevé de personnes qui s'y engagent, qui le commentent, qui le likent », il estime en revanche que cela ne reflète pas « ce que les gens voient, lisent et apprennent sur notre service ». En somme, il y aurait une autre minorité silencieuse, ces utilisateurs de Facebook dont les lectures n’apparaissent pas dans les tops des articles les plus partagés.
Reste une interrogation : Facebook peut-il vraiment faire une élection ? Il se trouve que nous avons déjà un exemple. « Sans Facebook, on n’aurait jamais gagné », admet Theresa Hong, directrice du contenu digital de la campagne Trump en 2016. Steve Bannon, patron de la campagne 2016, et fin connaisseur du réseau social, est tout aussi formel : « Je n'aurais pas soutenu Trump si je ne savais pas qu'il avait investi autant dans les datas sur Facebook. Je sais depuis Breitbart à quel point ce réseau est puissant ». 2016, 2020 : Facebook va-t-il réaliser le doublé ?
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