29-01-2021
Serge Barbet : « Quand on est un citoyen libre et éclairé, on doit avoir une capacité d’analyse critique »
- Média
- Éducation
La pandémie a généré de nombreuses fake news et théories complotistes, notamment avec le succès de Hold Up, peut-on venir à bout de cette épidémie de désinformation grâce à l’éducation et aux médias ?
C’est une excellente question. Est-ce que l’on peut vaincre le flux des fausses informations, des manipulations de l’information, des entreprises de propagande ? Tout un tas d’éléments que l’on synthétise sous le vocable anglophone de fake news et qui revêt beaucoup de formes. Est-ce que l’on peut lutter contre ce phénomène par l’éducation aux médias et à l’information ?
Alors, je dirais oui, c’est nécessaire. Il faut commencer par l’éducation aux médias et à l’information. Mais, seule, l’éducation, dans sa globalité, ne suffira pas pour éradiquer, venir à bout, d’un exercice qui est vieux comme le monde et perdurera.
Le but de l’éducation aux médias et à l’information est déjà d’inculquer une culture médiatique aux enseignants qui sont ensuite chargés de mener des travaux pratiques avec leurs élèves. Il est vrai que ces dernières années, cette question de la désinformation à l’ère des sociétés numériques, de la profusion, grâce aux moyens technologiques, de la circulation, de la diffusion de fausses nouvelles et de ses infox, comme on l’a traduit en français, devient un défi pour nos systèmes éducatifs.
L’éducation aux médias et à l’information est pertinente en cela que tous les exercices qu’elle va proposer - de la création d’un média scolaire, d’une web radio ou d’un web journal - vont contribuer à se prémunir des fausses informations qui sont protéiformes, qui sont aujourd’hui un phénomène mondial contre lequel il faut évidemment lutter. L’objectif de l’éducation est finalement de former des citoyens libres et éclairés. De ce point de vue là, je pense effectivement que l’éducation est dans son rôle quand elle fait ce travail-là.
Est-ce que l’on peut vaincre le flux des fausses informations, des manipulations, des entreprises de propagande ? Est-ce que l’on peut lutter contre ce phénomène par l’éducation aux médias et à l’information ?
— La Netscouade (@LaNetscouade) January 29, 2021
👉 Éléments de réponse avec @SergeBarbet, directeur du @LeCLEMI pic.twitter.com/EOAROkyaOc
La question qui se pose également, c’est le statut du professeur. Comment faire pour aborder un documentaire comme Hold Up en classe ? Comment les professeurs peuvent le faire, sachant que leur parole et le poids de leur parole peuvent être remis en cause face à la parole de scientifiques reconnus ?
Travailler sur un documentaire tel que celui qui a été diffusé il y a quelques semaines, Hold Up, n’est pas une obligation scolaire. Nous avons des enseignants qui ont une liberté pédagogique pour effectivement aborder dans le cadre des programmes, les différents aspects qui sont inscrits dans leur feuille de route. Si certains veulent utiliser ce documentaire, ils sont autorisés à le faire, mais je ne suis pas certain que ce soit finalement une pratique très courante au sein de l’Éducation nationale. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il y a eu ces dernières années, et notamment après les attentats de janvier 2015, une forte mobilisation et une forte évolution de l’éducation aux médias et à l’information au sein du système éducatif. Une forte mobilisation de l’ensemble des acteurs de la citoyenneté dans notre pays et des enseignants qui ont eu une attention accrue sur ces sujets-là. Ils ont également une injonction de l’Institut scolaire à aller plus loin dans les pratiques, que ce soit au cours d’enseignement moral et civique ou dans les différents champs disciplinaires, ou encore avec les professeurs documentalistes. Il y a beaucoup d’initiatives et de pratiques pédagogiques nouvelles que nous avons vues éclore. Parmi celles-ci, il y a par exemple, la fabrication de fausses informations par les élèves afin qu’ils puissent mieux se rendre compte par des différents ingrédients du montage qu’il y a derrière.
Au niveau du Clemi, nous ne sommes pas forcément adeptes de ce type de pratiques pédagogiques puisque nous partons du principe que l’éducation aux médias et à l’information doit apprendre ce qu’est l’information avant d’apprendre ce qu’est une fausse information. C’est-à-dire que nous partons du principe que nous soyons parfois avec les collégiens sur des cultures médiatiques quasi inexistantes ou alors totalement bouleversées par les outils numériques, par les plateformes, par les réseaux sociaux. Il y a une nécessité, effectivement, par l’éducation aux médias et à l’information, de leur apprendre à renforcer leur esprit critique sur tout type de contenus. Il ne s’agit pas de leur dire vous pouvez adhérer ou pas adhérer à telle ou telle thèse. Il faut simplement que vous ayez les bons réflexes et les outils pour pouvoir décrypter ce que vous voyez, comprendre la nature du document que vous avez sous les yeux, exercer votre analyse critique de ce document et à partir de là, vous pourrez en analyser la fiabilité, la plus-value ou la moins-value.
À l’école, nous ne sommes pas en train d’orienter le regard ou l’esprit des jeunes générations sur des contenus de telle ou telle valeur. Nous sommes tout simplement en train de leur donner les outils d’autodéfense intellectuelle pour qu’ils ne se fassent pas piéger par des contenus illicites ou alors des contenus qui, sous la forme d’être des vraies informations, sont en fait tronqués ou peuvent poser problème.
“L’éducation aux médias et à l’information doit apprendre ce qu’est l’information avant d’apprendre ce qu’est une fausse information.” @SergeBarbet, directeur du @LeCLEMI pic.twitter.com/w1jGGU0A7M
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On n’interdit évidemment pas de regarder Hold Up qui peut être regardé. Simplement, on fait en sorte qu’en regardant le documentaire, on soit en capacité de voir qu’il y a effectivement un prix Nobel, un ancien ministre et qu’il y a aussi des gens qui n’ont pas du tout les mêmes qualités, voire qui ont été, par le passé, condamné pour leurs pratiques.
On doit pouvoir aujourd’hui, quand on est un citoyen libre et éclairé, avoir cette capacité d’analyse critique de ce qui nous est montré sur tous les tableaux.
L’éducation aux médias est elle encore réservée aux professeurs d’histoire-géo ou les professeurs de sciences doivent-ils s’en emparer ? Est-ce que l’Éducation nationale a pris en compte ce changement, ce glissement ?
Cette question sur « qui fait l’éducation aux médias et à l’information ? » est extrêmement intéressante parce que cette éducation a quasiment un demi-siècle d’existence. Pendant des décennies, elle s’est développée dans le système éducatif sous la forme d’actions éducatives quasi optionnelles, qui étaient menées selon le bon vouloir des enseignants. Et souvent, ce bon vouloir était corrélé en fonction de la confiance qu’ils avaient en leurs propres compétences.
Les choses ont évolué très récemment avec la loi de refondation de l’école de juillet 2013 qui a inclus l’éducation aux médias comme une composante à part entière de ce qu’on appelle le socle, c’est-à-dire des compétences et des connaissances à maîtriser obligatoirement. À partir du moment où le ministère public a fait cette avancée, tout a suivi en termes d’évolution et nous sommes aujourd’hui encore dans le sillon de cette loi de refondation, à la suite des attentats de janvier 2015, à la suite d’autres tragédies, notamment la décapitation d’un enseignant d’histoire géographie le 16 octobre dernier à Conflans-Sainte-Honorine. En effet, ces tragédies et faits marquants qui terrorisent nos sociétés les amènent à penser qu’il faut renforcer cette compétence.
Depuis le départ, historiquement, l’éducation aux médias a été conçue de façon transverse, c'est-à-dire comme devant être menée par tous les enseignants de tous les champs disciplinaires. Aujourd’hui, elle est également interrogée de toute part : le législateur, les différents ministres qui se sont succédé rue de Grenelle. Tous conçoivent qu’il y a nécessité de la renforcer et qu’il faut savoir bousculer l’organigramme, le schéma de notre système éducatif, pour lui trouver plus d’espace.
“L’éducation aux médias a été conçue de façon transverse, c'est-à-dire comme devant être menée par tous les enseignants de tous les champs disciplinaires.” @SergeBarbet @LeCLEMI pic.twitter.com/0qdr6xwXX7
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Le 5 novembre dernier, il y avait des États généraux du numérique pour l’éducation. Le ministre Jean-Michel Blanquer a annoncé la nécessité de renforcer la citoyenneté numérique et l’éducation aux médias et à l’information, en s’appuyant notamment sur le Clemi. Mais on voit bien que cette recherche est permanente et donc nous sommes en train de travailler d’arrache-pied pour dire que cette éducation existe, qu’elle est obligatoire dans les enseignements, dans les programmes. J’ai cité l’enseignement moral et civique. Vous avez cité les professeurs d’histoire géographie qui sont en première ligne. Je citerai également les professeurs de français et de plus en plus, ce que nous constatons, c’est que nous voyons les professeurs des matières scientifiques, de SVT, des sciences politiques et technologiques au lycée. Il y a un effort de formation qui est monumental aujourd’hui à faire pour que nos enseignantes et nos enseignants soient mieux formés sur ces champs-là.
L’éducation aux médias et à l’information s’est structurée dans des travaux interdisciplinaires, impliquant plusieurs enseignants de plusieurs disciplines ensemble, sous des petits groupes d’élèves… Et finalement, c’est la forme scolaire même de cette éducation aux médias qui interroge. Je pense que c’est un saut qualitatif, et de progression, de modernisation de notre système éducatif dans son ensemble, qui est en jeu derrière cette question de l’éducation aux médias.
Pouvez-vous présenter le Clemi et sa mission ?
La question sur le rôle du Clemi au sein du système éducatif est de trois ordres. Sa première mission, c’est la formation des enseignants du premier et du second degré en éducation aux médias et à l’information. La deuxième mission, c’est de produire, voire de coproduire des ressources pédagogiques pour accompagner ces enseignants. Nous faisons des choses qui sont en accès libre sur notre site : clemi.fr. Ce sont des ressources papier, téléchargeables et des ressources vidéos, des ateliers d’éducation aux médias.
Nous avons également produit un jeu éducatif qui montre bien la façon dont nous accompagnons les enseignants. Classe Investigation est un jeu où les élèves, par groupe de deux, se retrouvent en situation immersive sur une enquête journalistique. Ils vont éprouver par eux-mêmes toutes les étapes et toutes les contraintes de mener le travail de l’information, de la fabrique de l’information. Ce jeu illustre bien, finalement, le type de pédagogie que nous utilisons pour faire travailler les élèves et leur faire prendre conscience des enjeux de l’information.
Le Clemi organise également des actions éducatives dont la plus connue est la Semaine de la presse et des médias dans l’école. Nous préparons la 32e édition qui aura lieu du 22 au 27 mars prochain. Il mobilise l’ensemble des équipes du Clémi : 220 000 enseignants, 4 millions d’élèves participent chaque année ainsi que 1 800 partenaires, institutions, associations qui sont de plus en plus nombreuses sur ce sujet là. Et puis, évidemment, les acteurs de la presse et des médias sont nos partenaires naturels pour accompagner les enseignants.
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