26-06-2020
Twitter va-t-il devoir «ban» le troll Trump ?
Le chroniqueur de la campagne américaine est aujourd’hui un peu nostalgique. Il repense aux glorieuses campagnes de 2008 ou 2012 où, chaque jour ou presque, un nouveau contenu web suscitait l’admiration. C’était les débuts des réseaux sociaux, l’époque de l’insouciance et de la promesse d’une démocratie renouvelée. Une dizaine d’années plus tard, il est de moins en moins question de célébrer l’ingéniosité des campagnes web. Au contraire, la campagne 2020 semble se résumer à une longue litanie de contenus censurés ou modérés.
Tout a commencé fin mai quand Twitter a décidé de frapper un tweet de Trump d’un avertissement « Vérifiez les faits » renvoyant vers des articles de fact-checking. Le Président y qualifiait de « frauduleux » le processus de vote par correspondance. Twitter a fait là une application rigoureuse de la règle interdisant de publier du contenu encourageant l’abstention. Quelques jours plus tard, Twitter récidivait en masquant un tweet du Président incitant à la violence contre les manifestants de Minneapolis : « Les pillages seront immédiatement accueillis par les balles ». Furieux, Trump faisait passer dans la foulée un décret visant à remettre en cause le statut d’hébergeur des réseaux sociaux.
Après une trêve de trois semaines, le 18 juin, c’était au tour de Facebook, jusque-là en retrait, de censurer un contenu du Président. La page officielle de Trump avait posté une publicité destinée à dénoncer les « antifas » illustrée par un symbole nazi, un triangle rouge inversé. Facebook a fait sauter toutes les versions de cette publicité, expliquant qu’elle violait leur politique contre la haine. Le lendemain, Twitter faisait pour la première fois apposer une mention «Média manipulé» sous une vidéo postée sur le compte de Trump. Le montage créé par un sympathisant de Trump montre un bébé blanc courir après un bébé noir, avec un faux synthé de CNN où il est écrit « Breaking news - un bébé raciste, probablement un électeur de Trump ». Une manipulation contrevenant aux règles instituées contre les deepfakes.
Trump a-t-il déjà lu les CGU de Twitter ?
Cette série inédite de modérations des contenus nous rappelle soudainement que, tout président qu’il est, Donald Trump n’est qu’un utilisateur de ces plateformes. Selon le droit américain, un réseau social est souverain sur ses terres. Il peut y fixer les règles qu’il souhaite, à l’exemple d’une boîte de nuit qui imposerait un dress code à ses clients. Donald Trump n’a probablement jamais lu les conditions d’utilisation de Twitter. C’est regrettable car elles s’appliquent fort bien à ses propres tweets.
« Il est interdit de menacer d'autres personnes, de les harceler et d'inciter à la violence envers elles sur la base de critères de race, d'origine ethnique, d'orientation sexuelle, de sexe, d'identité sexuelle »
« Il est interdit de publier ou de partager du contenu susceptible d'empêcher les électeurs d'aller voter ou de tromper les gens sur les modalités du vote »
« Il est interdit de menacer de recourir à la violence contre une personne ou un groupe de personnes. »
Un Américain a tenté l’expérience : il a créé un compte Twitter dupliquant les tweets du Président. Il aura fallu à peine trois jours pour que son compte soit suspendu pour violation des règles concernant la glorification de la violence. Donald Trump pose un problème de fond aux réseaux sociaux : en n’agissant pas, ils affaiblissent la crédibilité des règles imposées aux autres utilisateurs ; mais en commençant à modérer ses contenus, ils prennent le risque d’être entraînés dans un engrenage infernal. Jusqu’à devoir « ban » le 45e président des États-Unis ?
Un magistère de droit pour comprendre la modération de Twitter
La presse américaine a désormais beau jeu de relever les incohérences de la modération. Pourquoi ces tweets ont-ils été modérés et pas les autres ? Le 9 juin, Donald Trump a accusé nommément un homme de 75 ans victime de violences policières d’être un « provocateur antifa ». Le New York Times est formel - cette affirmation est fausse - et pourtant Twitter n’y apposé aucun label. Le réseau social s’est justifié en expliquant que le fact-checking n’est mobilisé que dans des cas de désinformation sur le processus électoral ou le Covid-19. Il va bientôt falloir un magistère de droit pour être en mesure de comprendre quels tweets de Trump peuvent être modérés.
«Cette affaire illustre parfaitement les défis auxquels Twitter est confronté en ce moment : Comment une plateforme peut et doit-elle modérer un président qui injecte régulièrement des contenus pollués dans l'écosystème médiatique», estime Whitney Phillips, professeur assistant à l'université de Syracuse. « Aucune décision, qu'il s'agisse de répondre ou de ne pas répondre, n’est sans conséquence ».
Biden saute sur l’occasion
Il est en tout cas indéniable que les lignes bougent, avec en toile de fond le mouvement Black Live Matters. Mark Zuckerberg, jusque-là très réticent à s’immiscer dans les contenus politiques, a publié un communiqué où il se dit « profondément ébranlé et dégoûté par la rhétorique incendiaire et clivante du président Trump à un moment où notre nation a besoin d’unité ». Zuckerberg a également annoncé que les utilisateurs de Facebook pourraient choisir de désactiver les publicités politiques. Une manière habile de ne pas transiger sur sa position - non-modération des publicités politiques sauf cas exceptionnels - tout en permettant aux utilisateurs de ne plus être exposés à ces messages non désirés.
Soumis à une fronde interne sur cette question, Mark Zuckerberg est aussi devenu la nouvelle cible de la campagne Biden. « De véritables changements dans les politiques de Facebook sont nécessaires pour éviter une répétition de la campagne 2016 où les campagnes de désinformation avaient menacé notre démocratie », a déclaré Bill Russo, un porte-parole de la campagne Biden. La politisation de ce débat n’a rien d’étonnant. Dans une époque où tout est politique, comment la modération des réseaux pourrait-elle ne pas l’être ? Qu’ils censurent ou non les contenus de Trump, les plateformes envoient à chaque fois un message politique.
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