03-04-2020
Youssef Badr, le syndrome de la crêpe Suzette
- Éducation
Il était devenu le chouchou des journalistes. Youssef Badr, 38 ans, a tenu pendant deux ans le porte-parolat du ministère de la Justice auprès de Nicole Belloubet. Cet enfant des banlieues, né dans une fratrie de 5 personnes, fils d’une femme de ménage et d’un ouvrier dans le bâtiment, incarne mieux que quiconque le combat qu’il porte. Dans une tribune publiée récemment dans Libération, il milite pour que plus d’étudiants de milieux défavorisés puissent devenir magistrat.
Youssef Badr est aujourd’hui coordonnateur de formation au sein de l’ENM, l’école nationale de la magistrature. Cette même école qui l’avait recalé une douzaine d’années plus tôt lors d’un oral mémorable dans lequel une examinatrice lui avait demandé la recette de la crêpe Suzette. Le gamin des banlieues s’était décomposé. Il finira par rentrer dans la prestigieuse école et deviendra magistrat à Meaux, à Bobigny puis à Paris. Sans jamais oublier cette maudite crêpe.
"Donner sa confiance à un étudiant, c'est la meilleure arme qu'on puisse lui donner". Le magistrat @Youss_Badr (@ENM_France et ex porte parole du @justice_gouv) milite pour que des étudiants issus de milieux défavorisés puissent intégrer des filières prestigieuses. #PICKS pic.twitter.com/6nfGlfIheK
— La Netscouade (@LaNetscouade) April 3, 2020
Vous pouvez nous raconter cet oral de l’ENM, lors de votre première tentative pour passer le concours ?
C'était déjà un miracle que j'arrive à ce stade, en ayant réussi l’écrit. J’avais le syndrome de l'imposteur, avec un énorme déficit de confiance. Une des examinatrices [qui se trouvait être Marisol Touraine, NDLR] me demande si je connais la recette de la crêpe Suzette. Je n'avais pas du tout la réponse à cette question et je me suis complètement effondré. Cela a été un moment très très difficile parce qu’ensuite les questions se sont enchaînées très vite et je me disais dans ma tête : « Mais qu'est-ce que je fais là ? Je n’ai absolument pas ma place ici ».
Cette question sur la crêpe Suzette est très révélatrice des concours de la fonction publique : on attend des étudiants qu'ils aient tous le même bagage culturel. Or la culture générale, chacun a la sienne, chacun a des appétences particulières. Je ne suis pas pour qu'on dégrade les concours de la fonction publique. La question est plutôt de savoir pourquoi des étudiants arrivent à ces concours-là avec un déficit méthodologique, juridique et culturel beaucoup plus important que les autres. On devrait tous arriver à armes égales devant les concours et ensuite, c'est la loi du sport : que le meilleur gagne !
Dans votre tribune dans Libé, vous reprenez les mots du sociologue Bernard Lahire: «Les enfants vivent au même moment dans la même société, mais pas dans le même monde». Comment sortir de cette impasse ?
Cette phrase est très juste. Entre le gamin qui vit dans 30 mètres carrés, qui a 6 frères et sœurs, des parents qui ne parlent pas la langue, qui n'a pas les "bons" codes culturels et des moyens très limités et celui qui est né dans un confort plus important, avec des parents au statut social élevé, vous avez deux réalités profondément différentes. Ces deux enfants sont à l'école au même moment mais leur chemin ne sera pas du tout le même. Le premier souffrira d’un déficit de culture générale et de confiance en soi. Deux choses que les parents auront apporté au second.
Est-on prédestiné à la naissance et condamné à être en retard sur les autres toute sa vie ou l’école est-elle là pour rectifier ces inégalités ?
C’est seulement en seconde que j’ai fait une grande découverte, avec mes camarades de classe : Albert Camus n'est pas que le nom de mon école primaire, c’est aussi un des plus grands écrivains français ! A partir de ce moment, toute la suite de ma scolarité va être consacrée à rattraper ce retard. Est-ce qu'on est prédestiné ? Cette question, je me la pose sans cesse et je n’ai jamais trouvé la réponse. Mais je sais que l'école doit être là pour rectifier ces inégalités dès le départ. J’accorde une place déterminante à l’école, pour une raison très simple : c'est là où j'ai eu le plus de difficultés, comportementales ou scolaires, mais c'est là aussi où j'ai fait les plus belles rencontres de ma vie : mes professeurs, ou devrais-je dire, mes parrains.
Pour vous, la confiance est une donnée capitale pour que les jeunes issus de la diversité s'en sortent. Comment leur donner cette assurance ?
C'est le rôle de leurs professeurs ! Ce sont eux qui doivent vous donner la confiance que vous n'avez eu pas de vos structures familiales. A l'université Paris 13 à Villetaneuse, j’ai connu un professeur exceptionnel qui a changé le cours de ma vie. Il vient me voir à la fin d'un cours :« Je t’ai entendu discuter, tu parles de l'École de la Magistrature. Est-ce c'est quelque chose qui t'intéresse ? ». Je lui réponds que oui, bien sûr, mais que c’est quelque chose pour laquelle je n'ai aucune chance, étant en compétition avec des étudiants de Sciences Po et d'autres facultés plus prestigieuses. Je n’ai tout simplement pas le bagage, je ne pense pas que je ne suis armé pour cela.
Son rôle à partir de cette année-là, avec mes copains et copines de classe, ça a été de nous faire rattraper ce retard. Il est revenu le lendemain avec une liste de films et de livres. « Est-ce que vous avez vu ce film ? Est-ce que vous avez lu ce livre ?», nous a-t-il demandé. Il n'y en avait évidemment aucun, on connaissait à peine les titres et les auteurs mais on s’y est mis. Il nous a fait rencontrer des magistrats, des avocats, des gens qui nous ont pris sous leur aile, nous ont donné le bagage culturel et la méthodologie et qui ensuite nous ont permis de réussir. Je crois énormément aux liens qu'on peut apprendre à tisser avec un étudiant. Donner sa confiance à un étudiant, c'est la meilleure arme qu'on puisse lui donner.
L'ENM est très présente sur les réseaux sociaux, en mettant notamment en avant la diversité de ses étudiants. C'est une volonté de s'adresser à tout le monde ?
L'ENM a une réelle volonté de s'ouvrir, et ce, depuis plusieurs années. Le web permet de toucher tous les étudiants. L'idée c'est de montrer ce qu'est le métier de magistrat et que le concours est ouvert à tout le monde. La seule condition, bien sûr, est de s’y préparer avec grand sérieux. Il reste évidemment beaucoup de progrès à faire pour pouvoir toucher des étudiants dans des facultés moins cotées que Sciences Po, Paris 1 Sorbonne ou Assas. Des classes préparatoires intégrées, ouvertes aux élèves boursiers, ont été mises en place depuis plusieurs années et permettent aux étudiants boursiers de préparer le concours dans les meilleures conditions possibles.
Par rapport à votre jeunesse, une chose a changé pour les étudiants : ils ont maintenant l'occasion de développer leurs connaissances et de s'exprimer sur Internet. Pour autant, on n'a pas l'impression que cela ait beaucoup changé les choses en terme d'intégration...
En réalité, les choses changent petit à petit et cela ira en s'accélérant. Je vous donne un exemple très simple. Je n'avais jamais été sur les réseaux sociaux, jusqu'à ce que j'arrive à la chancellerie. Je me suis alors ouvert un compte sur Twitter (@Youss_Badr). De nombreux étudiants m’ont contacté en privé par ce biais pour me demander des conseils, des étudiants qui se retrouvent dans mon parcours de vie et qui sont tentés parfois de tout laisser tomber parce que la marche est trop haute. J'ai ainsi noué des relations approfondies avec plusieurs étudiants, avec qui je communique régulièrement pour préparer le concours de l’ENM. Tout le monde n'a pas transformé l'essai mais certains font maintenant partie de la promotion 2020 ! Malgré toutes les critiques qu'on peut leur faire aujourd'hui, les réseaux sociaux ont cet avantage de rendre facilement accessibles des personnes qui ne le seraient pas sinon.
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