28-09-2012
Les nouvelles pratiques du marketing politique en France et aux Etats-Unis
- Politique
L’avènement du digital dans les campagnes électorales, consacré par Obama en 2008 notamment, a rendu saillante une tendance qui pourtant existait déjà dans les années 60 avec le candidat Kennedy. Il s’agit de l’application des techniques de marketing à la sphère politique : le message ciblé et matraqué, l’identification des influenceurs pour porter le message du candidat, etc.
Aujourd’hui, l’équipe d’Obama investit en masse dans la Big Data et l’analyse toujours plus fine des données personnelles. En France, ces techniques issues directement de la culture entrepreneuriale percent peu à peu, mais souvent sous les mauvais hospices de la presse et de l’opinion publique.
Réunis par Business Analytics Info, trois experts du web politique, des sondages et du marketing des entreprises se sont rencontrés, le mercredi 19 septembre, afin de s’interroger sur ces pratiques propres à l’entreprise exportées dans le domaine politique, sur leurs évolutions, leurs frontières et la frilosité française à l’égard de cet entrelacs :
Le marketing politique : une pratique ancienne, révolutionnée par internet
Le paradigme de la théorie économique pèse lourd dans la stratégie politique. Depuis la fin des années 50 déjà, les conseillers politiques sont bien conscients que d’une certaine manière, on peut parler à l’électeur comme on s’adresse à un consommateur, pour le faire acheter. Ainsi, l’habitus à la Bourdieu#L.27habitus_selon_Bourdieu) continue de peser dans l’élaboration de leur discours : Romney reste le candidat des riches, et en France, la tranche d’âge des plus de 65 ans est la seule à avoir majoritairement voté pour le président sortant, explique Frédéric Micheau, directeur adjoint du département Opinion et Stratégies d’Entreprise de l’IFOP, spécialiste de la vie politique française et de l’opinion.
Avec les nouveaux outils de ciblages et de récupération des données personnelles que fournit le web, les stratégies politiques peuvent aller infiniment plus loin que le simple ciblage par couche sociale. C’est ce qu’a fait Obama dès 2008, avec sa campagne digitale qui ciblait en priorité, les électeurs encore indécis.
Le marketing politique va plus loin grâce aux nouvelles technologies
En effet, c’est avec Obama en 2008 que les tendances de marketing digital ont largement investi le domaine politique. En deux ans de campagne, grâce à sa mobilisation sur Iinternet, le président des États-Unis a fait travailler près de deux millions de personnes pour sa cause et envoyé sur le terrain des millions de militants pour leur faire ouvrir quelques 70 millions de portes.
Contrairement à quelques idées reçues, cette mobilisation n’avait rien de spontanée ou d’improvisée, explique Benoît Thieulin, directeur associé de La Netscouade, fondateur de desirsdavenir.org et ancien directeur de la net-campagne présidentielle de Ségolène Royal en 2007. Les militants, recrutés sur internet, étaient organisés selon des strates très hiérarchisées. L’extranet mis à leur disposition, My.BarackObama.com, comprenait des groupes, des sous-groupes et des chefs de groupes, à qui on imposait des objectifs chiffrés. Une culture du résultat et un univers compétitif directement issu de la culture entrepreneuriale.
.@thieulin : Le digital ne permet pas seulement de donner des libertés aux militants, mais aussi de surveiller leur activité, la chiffrer
— La Netscouade (@LaNetscouade) 19 septembre 2012
Par ailleurs, en 2008 et encore davantage cette année, avec l’achat de Big Data par le Parti démocrate en campagne, l’offensive digitale repose sur l’hyper-ciblage des messages politiques. Disposant de grilles de près de 500 critères par individu, les équipes d’Obama visent les indécis. Alors que les stratèges politiques étaient habitués à s’adresser à une certaine catégorie socio-professionnelle, le message est aujourd’hui délivré à chaque personne, en particulier.
Quelles stratégies marketing pour la politique ?
Malgré l’arrivée des nouveaux médias et canaux de communication dans les campagnes politiques, les techniques marketing utilisées par les politiques ne sont pas nouvelles.
Serge Boulet, directeur marketing et communication de SAS, leader mondial du décisionnel et de la business analytics, explique en effet que cela fait plusieurs années déjà que les grandes entreprises du B- to- C pratiquent ces techniques d’hyper-ciblage et d’identification des influenceurs : le two-step flow communication.
Serge Boulet : L'idée de passer par les amis plutôt que parler directement à l'individu est aussi utilisée par les opérateurs de téléphonie
— La Netscouade (@LaNetscouade) 19 septembre 2012
En France, le travail sur l’information client commence dès les années 80, afin d’intégrer aux pratiques marketing, une segmentation de la clientèle la plus précise possible.
Serge Boulet : Le niveau de finesse de la data atteint par les équipes d'Obama est un niveau atteint depuis longtemps par des entreprises
— La Netscouade (@LaNetscouade) 19 septembre 2012
Mais si les pratiques sont déjà vieilles, si Kennedy à l’époque s’inspirait déjà pour sa campagne, d’une communication et d’une organisation digne d’une multinationale, qu’y a-t-il de vraiment changé dans le sillon politique ? Pourquoi le rapprochement du consommateur et de l’électeur choque-t-il encore, surtout en France ?
Internet : un outil pour le politique, un garde-fou pour le citoyen
Si le web n’a pas été l’élément déclencheur de l’utilisation de techniques marketing dans le domaine politique, il en est la caisse de résonnance. Ainsi, avec les campagnes d’Obama en 2008 et la Présidentielle française de 2012, l’utilisation des réseaux sociaux par des équipes professionnelles met à jour des pratiques politiques autrefois propres à l’entreprise.
Des garde-fous pour préserver la politique française de la logique marketing
L’opinion publique française regarde avec suspicion les pratiques des partis américains. La course au donateur, la masse d’argent brassée, les meetings-spectacles : chaque nouvelle élection outre-Atlantique détient son lot de records encore étrangers à la tradition politique française.
Des barrières juridiques à « l’américanisation » de la vie politique
En France, plusieurs garde-fous préservent le monde politique de ces pratiques, considérées comme une perversion ; à commencer par l’encadrement juridique du financement des campagnes. Limité par un plafond, un parti français dépensera au maximum 16 millions d’euros pour le premier tour, 22 millions pour le second, explique Benoît Thieulin. En 2008, Obama disposait de 700 millions de dollars.
Par ailleurs, en France, l’achat et l’exploitation de données personnelles sont bien plus règlementés qu’aux États-Unis. Là-bas, l’achat de listes comprenant de multiples critères de ciblage est autorisé.
Une barrière mentale
Le dernier aspect faisant la différence entre les cultures politico-marketing américaines et françaises réside dans l’initiation précoce à la culture d’entreprise, et ce dès l’université, quand en France, le cloisonnement entre les deux demeure.
Serge Boulet : les choses changent vite, mais il y a eu longtemps un mur entre les entreprises et les universitaires en France
— La Netscouade (@LaNetscouade) 19 septembre 2012
Les mentalités françaises évoluent pourtant vis-à-vis de cette défiance. On l’a constaté avec la dernière campagne, mais aussi dans le monde de l’entreprise, précise Serge Boulet. Les Français sont de plus en plus prêts à délivrer des informations personnelles en échange de services individualisés rendus : le service après-vente pour la marque, l’information individualisée pour le parti. Par conséquence, le consommateur et citoyen devient lui-aussi plus exigeant vis-à-vis de l’entreprise, ou de la politique, comme le montre par exemple la montée croissante des techniques de fact-checking.
« Aujourd’hui le consommateur entre dans l’entreprise et un équilibre s’établit. Il devient plus exigeant et cela découle de l’usage des nouvelles technologies. La donnée de data n’est plus une intrusion, elle devient un service nouveau. »
Serge Boulet, directeur marketing et communication de SAS, leader mondial du décisionnel et de la business analytics.
Internet s’avère être LE garde-fou le plus efficace contre ces dérives
Ces barrières juridiques et mentales s’érigent donc contre un glissement de la vie politique vers les pratiques entrepreneuriales et commerciales, qui la dénatureraient. À trop segmenter son discours, le candidat ne risque-t-il pas de tomber dans le clientélisme ? Peut-on parler à un électeur comme à un consommateur ?
Internet permet au citoyen de rappeler au politique que sa mission est avant tout idéologique
En permettant d’affiner ces techniques marketing, le web fournit aussi les outils pour se prémunir de ses effets pervers. Certes, l’accès à des données personnelles permet la segmentation du discours politique. Mais pour l’homme politique, il s’agit davantage de comprendre à qui il s’adresse et où se trouve son électorat favorable ou indécis. Savoir à qui l’on parle n’implique pas nécessairement d’abandonner sa colonne vertébrale idéologique. Cela permet surtout de gagner en efficacité.
D’ailleurs, dans l’évolution de la politique-marketing, l’usage d’outils numériques profite tout aussi bien aux partis qu’aux électeurs. Si les premiers ont su en user pour affiner leurs méthodes et gagner du temps, les seconds utilisent le web pour se prémunir des dérives de telles pratiques répondant à des logiques commerciales. Le fact-checking en est l’exemple le plus abouti. La moindre erreur ou contradiction dans la parole politique est traquée en temps réel par le journaliste connecté à internet, ou le citoyen qui pourra sur Twitter, dénoncer l’intox.
Mais Internet permet aussi au politique d’aller plus loin dans son idéologie et de complexifier son message
Pour l’homme politique aussi, le web est un moyen de lutter contre les dérives clientélistes et l’appauvrissement du discours politique. Grâce aux nouveaux médias, sa prise de parole n’est plus limitée à la maigre tranche horaire du vingt heures, courtisés par tous. Avec le web 2.0 et les nouvelles capacités de dialogue, tout le monde peut s’exprimer, dans des formats plus ou moins longs, plus ou moins riches. Les réseaux sociaux et les blogs sont une opportunité pour les hommes politiques qui peinent à obtenir cinq minutes d’images au journal télévisé ou une tribune dans la presse écrite. Loin d’appauvrir le débat politique, le web offre à tous les mêmes moyens. L’audience fait par la suite sa sélection naturelle.
Conclusion
Cette table ronde a donc permis de clarifier plusieurs points des avancées des techniques de marketing -politique en 2012.
Caisse de résonnance extraordinaire, moyen d’entrer directement en contact avec l’électeur pour une discussion presque individualisée, le web est bien un outil puissant du marketing politique. Il n’en n’est pas l’origine ni le travers. Au contraire, il fournit aux électeurs des garde-fous pour qu’ils ne deviennent pas, en période de campagne, des simples consommateurs de la vie publique.
Ainsi, plusieurs idées reçues sont à traquer :
- non, le marketing politique n’est pas dû aux usages des nouveaux médias ;
- au contraire, ces derniers mettent entre les mains des citoyens les outils pour se prémunir des dérives de telles pratiques ;
- les nouveaux médias permettent simplement aux partis d’aller plus loin dans leurs techniques issues du domaine de l’entreprise : marketing et management.
Le marketing -politique sur le web, c’est donc un moyen efficace d’aller ouvrir des millions de portes et non pas une tendance dangereuse vers une campagne clientéliste. Et l’usage de ces techniques ne distancie en rien le citoyen qui grâce à Internet, dispose d’outils de mesure de la parole politique inédits.
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