02-10-2020
À un tournant numérique des campagnes politiques en Guinée ?
- Politique
Dans moins de trois semaines, le 18 octobre 2020, les Guinéens ont rendez-vous dans les bureaux de vote pour élire leur président. La campagne bat son plein mais une chose saute déjà aux yeux de tous les observateurs : un accroissement de la mobilisation en ligne des principaux partis politiques et le renforcement de stratégies de communication numérique, certes encore titubantes mais bien réelles.
La Guinée est un pays de 13 millions d’habitants (selon les chiffres du FMI en 2019) avec une superficie de 245.857 kilomètres carrés, niché en Afrique de l’Ouest avec une façade atlantique. La jeune république - indépendante depuis 1958 - a connu trois présidents dits démocratiquement élus, et deux Chefs de transition issus de la période trouble qui a suivi le coup d’Etat mené en 2008 par le CNDD, le conseil national pour la démocratie et le développement.
Des balbutiements à partir de 2010
C’est en 2010 que les campagnes politiques, jusque-là surtout pensées pour des opérations de communication en présentiel, prennent une tournure décisive avec l’arrivée de nouvelles technologies. En effet, les politiciens guinéens réalisent vaguement le potentiel du numérique et des plateformes comme Facebook. Le taux de pénétration internet n’est encore que de 0,4% avec un nombre d’internautes estimé à 99 815, les taux de couverture nationale du réseau mobile et de pénétration de téléphonie mobile en 2010 sont respectivement estimés à 15% et 40%. Les smartphones déjà présents sur le marché, représentent encore un produit de luxe. Les marques chinoises, qui ont contribué à rendre le smartphone accessible pour une grande partie des Guinéens sont trop peu nombreuses. Pour se connecter, les Guinéens se rendent dans les cybercafés. L’arrivée de l’opérateur Areeba - devenu MTN entre - temps - en 2006 alors que la Sotelgui, (société de téléphonie guinéenne) était positionnée en leader dans un marché grippé, fait flamber l’achat de SIM téléphoniques. Les nouveautés du réseau social Facebook introduites la même année : les Likes, les groupes, les messages, permettent à la parole politique de se diffuser d’une nouvelle manière.
On voit apparaître ici et là des publications, analyses en faveur d’un tel ou autre parti. Il n’y a pas de stratégies, les idées et actions des entités politiques se matérialisent via des profils privés et personnels. Ces prises de position ont peu d’incidence sur les échéances électorales, notamment sur celle présidentielle de juin 2010. Alpha Condé est déclaré vainqueur à l’issue du second tour qui l’oppose à Cellou Dalein Diallo sans que les deux candidats aient vraiment existé sur le plan numérique.
Ancrage en 2015
Cinq années plus tard, le pays n’est plus le même. Son paysage médiatique, audiovisuel et numérique a évolué. Cette année est marquée par la prise en compte des réseaux sociaux et sites web de campagne dans les plans de communication politiques des candidats à l’élection présidentielle qui voit Alpha Condé réélu dès le premier tour. En 2014, le nombre d’internautes est passé à 2 147 000 utilisateurs, un chiffre qui grimpe à 3 597 000 utilisateurs en 2016.
Les Guinéens, profitant de la libre concurrence et des investissements dans le secteur des télécommunications en Guinée sont connectés, le taux de pénétration internet passe à 22,4% en 2015. Les programmes politiques sont publiés à la fois sur les blogs et les pages Facebook. La méthode est empirique. L’objectif est d’animer les réseaux sociaux, montrer que l’on existe dessus sans plus. Il s’agit d’une expérience monolithique de la communication politique numérique avec très peu de recrutements via le digital. Les principaux partis politiques du pays tels que l’UFDG, le RPG ou encore l’UFR sont très actifs sur ces médias sociaux mais ne sont pas à l’écoute de ce que ceux-ci leur “disent” de leurs campagnes, de leurs programmes. La relation ne se fait que dans un seul sens. Il n’y a pas d’analyse de l’impact des actions numériques, on agit à l’aveugle.
Si ces nouveaux terrains et outils sont envahis par les politiciens guinéens, c’est surtout parce qu’ils sont jugés “branchés”, “modernes”, du fait notamment de la campagne de Barack Obama qui s’est beaucoup appuyée sur le numérique. Le parti au pouvoir, qui en a les moyens, se rapproche d’agences de communication telles que Havas par l’entremise de Vincent Bolloré. La communication numérique du parti au pouvoir se professionnalise. Dans l’opposition, l'UFDG forme un groupe dédié à la riposte digitale pendant la Présidentielle de 2015. “Des jeunes triés sur le volet s’occupent de la mise à jour de notre site web. Si l’UFDG revient très souvent sur les réseaux sociaux dont Facebook, il y a tout de même une absence de coordination dans la mesure où tous ceux qui s’y expriment en parlant de l’UFDG ne relèvent pas forcément du parti”, précise Souleymane Thiâ'nguel Bah, Responsable de la communication du parti.
En 2015, la société civile guinéenne dont l’Association des Blogueurs de Guinée, initie un projet d’envergure de monitoring de l’élection présidentielle guinéenne avec un projet dénommé “Guinée vote”. Les réseaux sociaux sont aussi utilisés pour dénoncer les fraudes et signaler les incidents dans les bureaux de vote. Un usage citoyen de ces outils est encouragé par la jeune association et ses acteurs.
#GuineeVote Retour au calme à Conakry après le scrutin du 11 octobre 2015. Cultivons la paix rien que la paix pic.twitter.com/WyzBCikJiX
— OULARE Tamba Fatou (@tamboulare) October 13, 2015
2020 : l’âge de la maturité et… de la manipulation
L’élection de Donald Trump aux Etats-unis, le scandale de Cambridge Analytica sur l’usage des données personnelles par Facebook a révélé les failles mais aussi les possibilités phénoménales que donnent ces plateformes. Le numérique est désormais le terrain de jeu et d’expression favori des politiciens, notamment pendant les élections. La plateforme Twitter, très peu côtoyée par les hommes politiques au début au profit de Facebook, est prise d’assaut.
La course aux likes fait fureur avec des pages politiques guinéennes sponsorisées auxquelles sont abonnés des milliers de Guinéens.
Des web-télé et web-radio voient le jour et les personnalités politiques commencent lentement mais sûrement à disposer des badges bleu de certification.
Les communicants des partis politiques guinéens s’investissent pour faire exister leurs candidats sur les réseaux sociaux et on assiste parfois à des opérations coordonnées numériques notamment avant et pendant les élections. C’est par exemple ce que révèle, l’étude réalisée par les universitaires Jack Cable, Zoe Huczok et W.E : “nous avons enquêté sur un large réseau de pages Facebook opérées par le parti du président guinéen Alpha Condé. Les pages orchestrent des publications qui soutiennent la candidature de Condé à un troisième mandat, et sont gérées sous des noms d'emprunt” expliquent-ils dans leur compte-rendu.
Ce que réfute le Directeur de la communication du RPG, le parti au pouvoir. Aboubacar Touré, qui occupe cette position depuis 2012 avance : “quelles sont les preuves irréfutables que ces pages sont fausses ou téléguidées par le parti ? Je ne comprends pas le terme “propagande”. Quand un parti crée une page, n’est-ce-pas pour mettre en lumière ses activités ? “. Selon lui, le parti ne dispose que de trois canaux de communication officiels sur Facebook : “les pages RPG Arc-en-ciel, le forum et le groupe de la Cellule de communication du RPG” qui auraient la primeur des informations concernant le parti RPG. “Nous avons aussi beaucoup de communicants volontaires qui n’agissent qu’en leur nom”, précise le Directeur de la communication du RPG.
La Guinée possède une longue tradition de vote communautariste suscité par un clivage ethnique entre les Peulhs et les Malinkés qui remonte à l’indépendance et au régime du premier président Sékou Touré. Il en résulte comme conséquence, la bipolarisation de l’espace politique : deux grands partis ont émergé, le RPG (considéré par l’opinion publique comme le parti Malinké) et l’UFDG (considéré comme le parti Peulh). Cette situation se reflète également dans les stratégies de communication politique numérique. Les politiciens guinéens et leurs équipes n’hésitent pas à passer par des agents-influenceurs aux milliers d’abonnés dont la principale ligne éditoriale est basée sur l’incitation au vote ethnique.
Pour Mariam Tendou, Directrice de Baantou, une agence de communication présente au Sénégal et en Guinée : “L’avènement d’internet suivi par l’explosion de l’utilisation des réseaux sociaux ont contribué à la digitalisation de la communication politique mais n’a servi ni à la professionnalisation du métier et du rôle du communicant politique, ni à l’amélioration de l’écosystème en matière de contenus de qualité. Tous les moyens possibles sont utilisés, que ce soit les fake news, des faux-comptes ou la manipulation de faits”.
À l’heure où l'Union Européenne et les États-Unis cherchent à réguler les GAFAM et à contrôler leur incidence sur les démocraties, les Guinéens semblent abandonnés à eux-mêmes et à toutes les dérives possibles.
La loi sur la cybercriminalité et les données personnelles votée en 2016 à l’Assemblée Nationale guinéenne n’est que très peu appliquée et est d’ailleurs vue dans sa forme actuelle par la société civile, comme une atteinte à leur liberté d’expression et à la liberté de presse.
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