06-03-2025
Arrivée de l’IA, critiques à droite : Wikipedia face à la tempête
- Culture digitale
Wikipedia a rarement affronté de tels vents contraires. L’encyclopédie participative fait tellement partie des meubles sur Internet qu’elle avait presque atteint un statut d’intouchable. Et pourtant, 24 ans après sa création, Wikipedia fait face à une double menace : des critiques féroces venus de la droite, Elon Musk et Le Point en tête, et le péril d’une perte de crédibilité des sources, conséquence de l’arrivée massive de l’IA.
Depuis quelques semaines, Elon Musk s’est lancé dans une croisade anti-Wikipedia, qu’il voit comme un site de “propagande”. “Coupez les financements tant que l’équilibre n’est pas restauré !”, a-t-il tweeté en janvier, estimant que l’encyclopédie était trop “woke”. Le milliardaire n’avait pas supporté que sa fiche mentionne “un geste comparé à un salut nazi ou fasciste”, en référence à son fameux dérapage lors de l’investiture de Trump. “Qu’est-ce qui est inexact dans cette description ?”, lui a répondu Jimmy Wales, le cofondateur de l’encyclopédie. De fait, la fiche est très prudente et factuelle, précisant qu’Elon Musk avait contesté l’interprétation de son geste.
Wikipedia est-il vraiment “woke” ?
Si cette attaque du patron de Tesla est liée à un sujet personnel, elle s’inscrit dans une bataille culturelle plus large contre le “wokisme”, dont Wikipedia est devenu, à son corps défendant et fort injustement, un des symboles. L’exemple de l’écriture inclusive est particulièrement révélateur. Le blogueur politique Authueil, classé à droite et pratiquant de longue date de l’encyclopédie participative, a expliqué à quel point il est ridicule de lui coller cette étiquette : “Si la communauté wikipédienne était si woke que ça, l’utilisation [de l’écriture inclusive] y serait systématique, et ne ferait pas débat.” Un sondage en 2022 avait en effet montré qu’une majorité des contributeurs — entre 60 et 70% — y était hostile.
“L’engagement en faveur du projet et de ses buts est bien plus important que militer en faveur de telle ou telle autre idéologie”, ajoute le blogueur. De fait, Wikipedia peut se targuer de n’avoir connu aucun retournage de veste politique ces derniers mois, contrairement aux géants du web, pressés de se conformer à la nouvelle administration américaine. Trump ou pas Trump, l’encyclopédie ne renie pas ses principes, et ne cherche en aucun cas à complaire aux nouveaux maîtres du monde. Ce qui pourrait lui causer bien des torts dans les 4 années à venir.
Le Point vs. Wikipedia
Plus surprenant que les emportements d’Elon Musk, le débat a également débordé en France. Tout est parti d’un article du Point en décembre, un réquisitoire titré “Wikipédia, plongée dans la fabrique d’une manipulation”. Le magazine y dénonce “les activistes de l’encyclopédie”, de gauche “tendance ultraprogressiste”, qui auraient pris Le Point pour cible. “Les exemples regorgent de pages totalement polluées par des groupes motivés par des agendas politiques ou idéologiques”, écrit le magazine.
La critique s’est transformée en conflit ouvert à la mi-février, quand l’auteur de cet article a envoyé un mail menaçant à un contributeur de Wikipedia, FredD : “Nous allons faire un article sur vous, sur notre site, en donnant votre identité, votre fonction, en sollicitant une réaction officielle de [nom de ses derniers employeurs]”. FredD venait de modifier la fiche du Point, en indiquant que le magazine avait pris un tournant “populiste”.
Ce mail a déclenché un mini-séisme au sein de Wikipedia. Les bénévoles ont immédiatement publié une lettre ouverte pour apporter leur “plein soutien” à FredD, tenant à rappeler que “les contributeurs bénévoles, aux profils et opinions politiques variés, interviennent pour la plupart sous pseudonyme, conformément à ce que recommande la plateforme pour éviter le harcèlement”. Précision d’importance qu’apportent les auteurs de la lettre : les contributeurs ne sont pas pour autant anonymes, car ils peuvent être identifiés par la justice sur demande à l'hébergeur.
Interdire les fiches des vivants ?
Depuis cet incident, Le Point ouvre abondamment ses colonnes à la critique de Wikipedia. Une pétition signée par des intellectuels et des journalistes — dont Benjamin Morel, Sophia Aram ou Natacha Polony — formule une “profonde inquiétude face aux campagnes de dénigrement systématiques et sans contradicteurs orchestrées par des contributeurs militants anonymes sur Wikipédia”. Plus virulent encore, l’ancien directeur de Charlie Hebdo Philippe Val, propose dans une interview d’interdire les fiches des personnes vivantes. “Quand j'ai lu ma fiche, je me suis dit qu'elle était moins objective que celle d'Adolf Hitler !”, déclare-t-il, avec son légendaire sens de la mesure.
Cette controverse vire au grand règlement de comptes, aux accents souvent injustes. L’encyclopédie repose sur des principes éthiques fondamentaux — neutralité, véracité et objectivité — qu’il serait hâtif de jeter au feu en prenant quelques exemples circonscrits. Il nous paraît que, davantage que le “wokisme”, c’est la nouvelle donne d’Internet qui pose un défi considérable à Wikipedia. L’irruption récente de l’IA génératrice, qui inonde le web de ses contenus à moitié vrais — pour ne pas dire à moitié faux — représente une menace considérable pour l’encyclopédie, qui se doit d’avoir des sources de la plus grande qualité possible.
La forteresse turque qui n’existait pas
Une enquête de Next a tiré récemment la sonnette d’alarme. Le média a identifié plus de 1.000 sites web francophones se faisant passer faussement pour des supports d’information, alors qu’ils sont générés et/ou traduits par des IA. Encore plus préoccupant, sur ce corpus… 150 étaient mentionnés comme sources par Wikipédia. De manière intéressante, Next a travaillé en collaboration avec des contributeurs de l’encyclopédie afin d’identifier ses sites. Un grand ménage des sources est en train d’être effectué.
Un canular avait déjà montré toutes les limites de Wikipedia face à l’assaut de l’IA. “La forteresse d'Amberlihisar a été construite en 1466 par Mehmed le Conquérant à Trabzon, en Turquie”, détaillait une fiche très complète et informée sur cette forteresse turque. À un détail près : elle n’a jamais existé. 404 Media avait révélé qu’il s’agissait d’un hoax entièrement généré par IA. Sans une connaissance précise de l’histoire turque ou une fouille précise dans les sources (citant des travaux inexistants), difficile de détecter la supercherie, tant la fiche était parfaitement formatée pour Wikipedia.
Un projet pour dompter l’IA
"L'intelligence artificielle invente régulièrement des références qui n'existent pas, rendant la vérification particulièrement complexe. Comment différencier un ouvrage ancien authentique mais rare d'une source entièrement fabriquée?", se demande Ilyas Lebleu, contributeur de Wikipedia auprès de la RTS. Là encore, l’encyclopédie ne reste pas les bras croisés. Le “WikiProject AI Cleanup” a été lancé l’année dernière afin de nettoyer le site des contributions douteuses de l’IA. Fait intéressant : il ne s’agit pas d’interdire l’intelligence artificielle dans les articles, mais “de vérifier que ses résultats sont acceptables et constructifs, et de les corriger ou de les supprimer dans le cas contraire”.
Dompter l’IA pour ne pas qu'elle le submerge, ne pas l’interdire mais la domestiquer : Wikipedia aborde le problème du bon côté. L’encyclopédie a peut-être une interface digne du début des années 2000, mais elle garde une rafraîchissante capacité de répondre aux enjeux du moment.
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