27-07-2012
Communication de crise d'Orange : autopsie d'une crise sur les réseaux sociaux
- Culture digitale
Pourquoi les grands groupes doivent se doter d’un plan de prévention des risques digitaux majeurs
Le 6 juillet 2012, les 485 000 fans français de la page Facebook de l’opérateur Orange ont inondé de commentaires, désabusés pour certains, agressifs pour d’autres, cet espace de discussion qui s’est transformé en véritable déversoir du mécontentement des clients. Touchés par une panne historique, des dizaines de milliers d’abonnés furent privés d’appels et de messages, le tout la veille de l’un des premiers grands week-ends de départs en vacances. Un événement rarissime pour lequel l’opérateur n’avait ni plan d’évacuation ni bouées de sauvetage. Plongeon dans une communication de crise bien débordée.
485 000 fans (au moment de la crise), c’est une sacrée communauté à animer, surtout pour une entreprise et des services aussi exposés que ceux de l’opérateur historique. Les messages de clients-fans mécontents du service ou faisant état d’un bug sur les réseaux sociaux, Orange connaît bien et a d’ailleurs une application dédiée à la relation clients directement accessible depuis la page Facebook. Mais face à un incident aussi massif, l’opérateur n’était manifestement pas prêt. Et nous osons conjecturer qu’il en est de même pour la plupart des grandes entreprises françaises présentes sur les médias sociaux.
6 juillet 2012, 17h30 : un message sur la page Facebook…
Retour sur les faits. Nous sommes vendredi 6 juillet 2012 aux alentours de 17h30. La panne réseau en est à sa troisième heure et la nouvelle commence à se répandre sur les médias, sociaux ou pas. Nul doute qu’en interne Orange est alerté du problème et commence à en mesurer l’ampleur. C’est alors qu’apparaît sur la page Facebook France de l’opérateur une publication qui annonce le résultat d’un jeu concours : « Vous l’attendiez, elle est là ! Voici la liste des 20 gagnants du Smartphone Orange avec Intel Inside® ! ». Étonnant contretemps ! La demi-heure qui suit est assez calme : les premiers commentaires portent sur le jeu, ponctués par deux interventions du community manager qui répond aux questions des fans à 17h45 et 17h48.
17h48, puis un long silence de 70 minutes pendant lequel les clients vont commencer à poster en masse au sujet de la panne dans les commentaires de l’annonce du jeu concours
18h58 : « Cher tous, depuis cet après-midi, le réseau mobile Orange est touché par un incident important »
C’est autour de 18h que tout s’emballe : au moment où la journée de travail se termine, où l’on range ses affaires, où l’on cherche à joindre sa femme ou ses amis pour se retrouver et prendre la route des vacances. Entre 18h30 et 19h, une quarantaine de messages d’alarme et d’incompréhension de la part de clients coupés du réseau sont publiés dans les commentaires du jeu. Il est 18h58, soit 3h30 après le début de la panne, quand celle-ci est évoquée pour la première fois par le community manager, qui publie directement dans les commentaires du jeu le message suivant :
70 minutes de vide, entre 17h48 et 18h58 : comment les expliquer ? Avançons une hypothèse vraisemblable : le community manager a un peu moins de 70 minutes de temps de transport entre son lieu de travail et son domicile. Il serait tout simplement rentré chez lui ?
Mais le problème qui se pose à 19h et qui se posera toute la soirée est bien l’absence manifeste d’un plan de crise. Pourtant, après 3h30 de panne, l’information technique existe, la cellule de crise est forcément active. De deux choses l’une : soit tous les communicants d’Orange sont au même niveau (médias, com client, com interne, CM etc.), ce dont on peut raisonnablement douter. Soit le community manager ne partage pas les mêmes informations ou les mêmes prérogatives pour en faire usage. Et pour remédier à ce mal, il n’y a qu’un seul remède : il faut coordonner, intégrer, articuler sa stratégie de communication sur les médias sociaux avec sa stratégie de communication globale ! Matin, midi et soir, tous les jours, et doubler la dose en cas de crise !
Revenons à la chronologie des événements. 19h et le premier message du CM évoquant la panne. À partir de ce message, on observe un changement d’approche de la part du CM : des interventions répétées en réponse directe à des apostrophes et autres invectives des clients impatients. Pourquoi pas ? Mais sans nouveaux éléments de langage, à quoi bon ? Le flot de messages est tel qu’une réponse individualisée est illusoire : pourquoi répondre à X et pas à Y ? D’autant qu’on ne peut pas dire que les clients excédés soient tous disposés à jouer le jeu d’une conversation constructive. Et ce qui devait arriver…
À 22h on comptait 568 commentaires ponctués d’une dizaine d’interventions du CM déclinant des variantes du même message « Nous sommes désolés, nous sommes pleinement mobilisés pour rétablir la panne, nous continuons de vous informer des évolutions », sans être pourtant en mesure d’informer sur quoi que ce soit.
22h14, le premier statut dédié
Depuis 17h, les clients postent sur le dernier message publié : le résultat d’un jeu concours, contribuant à entretenir l’impression que le sujet de la panne n’est pas traité, ou qu’il est secondaire et ne justifie pas une publication dédiée.
À 22h14 apparaît sur la page Facebook le premier statut évoquant la panne :
Bonsoir à tous. Le réseau mobile d'Orange en France est touché par un incident important. Comme vous en avez peut-être pris connaissance dans les commentaires du post précédent, les clients mobiles d'Orange sur tout le territoire rencontrent de grandes difficultés pour passer des appels, envoyer des sms et utiliser l'internet mobile.
Les équipes techniques d'Orange sont actuellement pleinement mobilisées pour résoudre cet incident et les investigations techniques sont en cours.
Nous vous tiendrons informés dès que possible de l'évolution de la situation.
À la suite de ce message, les volumes explosent. Le samedi 7 juillet à la mi-journée on comptait environ 3900 likes, 3100 commentaires et 3350 partages. Trop pour que le CM continue d’essaimer quelques réponses tous les quart d’heures : il n’y aura plus aucune intervention du community manager dans les commentaires jusqu’au lundi matin.
Jusqu’au bout de la nuit…
À 00h43, nouveau statut mais toujours pas de nouvelles informations :
Puis, enfin, à 1h23, la panne est résolue :
Chers tous. A 00h30, les services voix et SMS d'Orange sont revenus à la normale et les services de transmission de données reviennent progressivement à la normale. Cet incident rarissime a été provoqué par une panne logicielle sur un équipement essentiel du réseau. Plus de 200 ingénieurs et techniciens se sont mobilisés immédiatement pour mener les investigations techniques nécessaires et le résoudre. Orange présente ses excuses à tous ses clients et partenaires pour les conséquences de ce grave incident et travaille à une indemnisation de ses clients, dont nous vous tiendrons informés au plus tôt. Nous vous souhaitons une bonne nuit.
Les volumes de réactions et de partages restent ce qu’ils étaient pour la publication de 22h. Mêmes causes, mêmes effets : pas d’intervention du CM jusqu’au lundi 9 juillet dans la matinée : retour au bureau, retour à la ligne éditoriale habituelle !
Ce qu'il faut en retenir :
Ce qu’Orange a réussi, c’est la gestion post-crise : annonce du dédommagement, publication d’une vidéo d’animation expliquant la panne et sa résolution, le tout accompagné d’un community management plus sûr de lui car assis sur la ligne éditoriale des temps calmes.
En revanche les hésitations, les revirements, la nature des messages publiés, mais aussi les trous noirs du community management lors de cette crise démontrent en revanche à quel point Orange n’était pas prêt.
Le Plan de Prévention des Risques Digitaux dont Orange devrait se doter doit contenir deux éléments essentiels : une ligne éditoriale de crise déclinée par plateformes, et un schéma de gouvernance éditoriale de crise (étapes de circulation de l’information, étapes de validation des messages).
La ligne éditoriale d’abord. La personne en charge de la parole de la marque sur les réseaux sociaux doit savoir précisément quelle attitude avoir dans des cas de crise majeure. Un document bien maitrisé par cette personne doit présenter différents scénarii, les comportements adéquats pour chacun d’entre eux, les erreurs à ne pas commettre. Ce pour éviter, par exemple, de publier un résultat de jeu concours quand des milliers de personnes mécontentes se ruent vers la page Facebook, ou pour savoir si oui ou non il faut intervenir dans les commentaires, et si oui sur quels critères, pour répondre à quelles questions.
Le schéma de gouvernance, enfin, rejoint la nécessité déjà évoquée d’intégrer pleinement les communicants digitaux à la cellule de crise, leur donnant un égal accès à l’information. Il est impensable de ne pas communiquer sur une page qui compte 485 000 fans. Il est impensable de publier un premier statut à 22h14 quand la panne a débuté autour de 15h30. À l’évidence, les étapes de validation des prises de paroles doivent être aussi rigoureuses que celles qui valent vis-à-vis des médias traditionnels. Mais elles doivent tenir compte de la nature des réseaux sociaux : une prise directe et quasi continue avec des milliers d’individus. Ce n’est ni un numéro d’assistance technique (prise directe avec un individu), ni un point presse (prise indirecte avec des milliers d’individus). Le schéma de gouvernance éditoriale doit permettre de dérouler la stratégie de gestion de crise de la marque. On aurait par exemple pu imaginer une succession de statuts afin de scinder ces fils de milliers de commentaires agglomérés autour de 4 publications.
Ces deux recommandations ne viennent pas d’un monde parallèle de la communication digitale : elles valent dans bien des situations qui appellent une communication de crise : anticiper les scénarii, distribuer les rôles. D’où cette analogie avec les plans de prévention pris par les pouvoirs publics pour faire face aux risques majeurs (naturels, de santé publique etc.).
Certes, la probabilité est faible de voir survenir de telles catastrophes, mais la seule manière efficace pour les entreprises exposées de contenir les conversations et limiter les dégâts lorsqu’elles surviennent, est de concevoir en amont un véritable plan de prévention des risques digitaux dont l’un des principaux critères de réussite sera d’être pleinement intégré à la cellule de crise et de partager le même niveau d’information que les autres entités concernées.
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