30-04-2021
Journalistes influenceurs : « Le circuit de la copie d’un tweet est presque aussi rigoureux que celui d’un article »
- Culture digitale
Une nouvelle génération de journalistes, professionnels des réseaux sociaux, a émergé ces dernières années : qu’ils s’appellent Rémy Buisine, Salomé Saqué, Hugo Clément, Taha Bouhafs ou David Perrotin, chacun dans leur domaine, chacun dans leur style propre, ils représentent une nouvelle manière de se situer par rapport à l’audience.
C’était en 2010, c’était il y a 1000 ans. Libération titrait « Les journalistes, rien que des brandeurs » et fustigeait cette nouvelle génération de rédacteurs qui avaient le mauvais goût de s’exposer sur les réseaux sociaux. Le message était clair : un journaliste n’est pas une marque, n’est pas une entité propre et ne doit en aucune manière faire de l’ombre à son employeur. « Journalistes en herbe, écrivait Libé, si vous êtes suractifs sur les réseaux, que vous soignez votre CV en ligne ou que vous scrutez les occurrences de votre nom sur le Web, c’est que, tel un MonsieurJourdain.com, vous faites du personal branding sans le savoir ». Une décennie plus tard, tout le monde a oublié cette (très) péjorative expression de personal branding et l’usage intensif des réseaux sociaux par les jeunes journalistes est devenu d’une confondante banalité. Plus personne ne se demande si tweeter relève pour un journaliste d’un complexe de Narcisse. Cela fait naturellement partie du job.
Journalistes influenceurs, le terme pourrait rebuter, mais il indique simplement que ces nouveaux professionnels ont fédéré une communauté de lecteurs autour de leur nom, au-delà même de leur média. Quelles règles se fixent-ils quand ils publient sur les réseaux ? Quels avantages pour les médias qui les emploient ? Nous en avons discuté avec David Perrotin, 31 ans, journaliste à Mediapart et Salomé Saqué, 26 ans, journaliste à Blast et au Vent se Lève.
Suivre un journaliste plutôt que suivre un média
David Perrotin a le profil d’un journaliste à l’ancienne - sérieux, pointu, sourcilleux - mais il n’a connu que des rédactions web : Rue89, Buzzfeed, Loopsider et enfin Mediapart. Au fil du temps, il a su se créer une communauté fidèle sur Twitter, fort de ses 79.000 abonnés. « Je ne pense pas être un influenceur, dit-il. En revanche, j'ai compris assez rapidement que mes sujets de prédilection – société/violences policières - pouvaient intéresser une partie du public. Rien de plus facile maintenant que de s’abonner au compte d’un journaliste et, ainsi, de suivre les différents travaux qu’il peut mener. » En dépit de son style très sobre, strictement factuel, ses messages connaissent une viralité peu commune, dépassant régulièrement les 1.000 retweets.
"Je ne veux pas de Noirs ni d'Arabes"... enquête sur les agences immobilières (les franchises de Stéphane Plazza, Foncia, Orpi, Laforêt...) qui acceptent de mettre en place une selection discriminatoire des locataires. pic.twitter.com/XVh0ZrGRJH
— David Perrotin (@davidperrotin) May 6, 2019
En mai 2019, Perrotin sort un scoop pour Loopsider, une vidéo montrant comment des agences immobilières ont mis en place une sélection discriminatoire des locataires. Loopsider poste la vidéo sur son compte Twitter. Un vrai succès : 650 retweets. Mais quatre minutes plus tard, Perrotin la reprend sur son compte, et le compteur va s’emballer bien davantage et atteindre 26.000 reprises. Comment expliquer une telle différence ? « Je pense qu’il y a une base beaucoup plus réceptive sur ces thématiques de discriminations sur mon compte que sur celui de Loopsider qui est un média généraliste, brassant tous les sujets », analyse Perrotin. Une prime aussi, sans doute, à l’incarnation, à la photo de profil face au logo impersonnel du média.
Mais attention, le journaliste nouvelle génération reste corporate. Pas question de griller la politesse à son employeur. « Je n’oublie jamais que je suis le salarié d’un média, qui doit avoir la primeur de mes travaux », explique Perrotin. Le journaliste a signé une charte déontologique lors de son embauche. Elle stipule que si les collaborateurs sont libres sur les réseaux sociaux, ils « doivent cependant s’exprimer en gardant à l’esprit qu’elles et ils travaillent au sein d’un collectif et que partager publiquement une opinion personnelle peut avoir des conséquences sur l’image du journal. »
“Le travail que je mène c’est pour le média et absolument pas pour mon propre compte Twitter. Après il peut arriver que ça se chevauche \[...] il y a une base de personnes qui me suivent aussi pour voir mon travail, donc je publie ce que je fais.” @davidperrotin @Mediapart pic.twitter.com/KXgIthBfEk
— La Netscouade (@LaNetscouade) May 7, 2021
Tweeter un article, c’est aussi l’assumer
Un grand pouvoir sur les réseaux implique de grandes responsabilités. Le journaliste de Mediapart en est bien conscient : « Mon utilisation de Twitter a beaucoup évolué depuis mes débuts en 2011. Ce que je partage aujourd'hui avec 70.000 abonnés n'a pas du tout la même répercussion que quand j'en avais 200. Le circuit de la copie d’un tweet est presque aussi rigoureux qu’un article. Je vais essayer de relire au moins deux fois, me poser des questions, etc. Evidemment que je peux faire des erreurs, mais j’essaye au maximum de tweeter comme si j’écrivais un article, avec la même exigence de vérification des informations. » Pour les journalistes avec une audience conséquente sur les réseaux, le temps du partage désinvolte est révolu. Publier un lien - par exemple une enquête venue d’un autre média -c’est aussi d’une certaine manière devoir l’assumer. « Ça a pu m'arriver de partager une info trop rapidement, reconnaît Perrotin. De ce fait, j'essaye maintenant de lire avec grande attention les articles que je partage. Il peut toujours y avoir un petit détail qui pose problème, or, je sais qu’en tweetant un article, pour les gens, j’y souscris ». C’est la règle sur Twitter : l’exigence des lecteurs - parfois bienveillante, parfois moins – encourage à améliorer ses pratiques et à accorder la même exigence journalistique que dans un travail traditionnel.
La relation « d'homme à homme» de Macron et Darmanin, symbole du sexisme au plus haut niveau du pouvoir.
— Salomé Saqué (@salomesaque) July 14, 2020
THREAD. (1/14) pic.twitter.com/6mX0tX5WAT
Salomé Saqué a le tweet moins sobre, plus incisif. Ses threads mordants, équivalents modernes des éditoriaux de presse, rencontrent souvent un grand succès viral. Quelle place cette activité tient-elle dans sa pratique du journalisme ? « J’y mets la même exigence, je considère que cela fait partie de mon travail, en l'occurrence du travail de veille. Je ne peux pas parler de tous les sujets qui m’importent dans mon média alors que sur Twitter, cela me permet d’avoir une réaction rapide à des sujets d'actualité. » C’est un des grands acquis des réseaux sociaux : pourvu qu’elle soit pertinente, une jeune journaliste peut briser le plafond de verre interdisant normalement à une novice de donner son avis sur les grands sujets, comme le font les éditorialistes usés des plateaux télé. L’immédiateté et la surchauffe émotionnelle des réseaux rend l’erreur possible, il faut simplement en avoir conscience. « La grande différence sur Twitter, c'est que je n’ai personne pour me relire », indique Salomé Saqué. « Quand j'écris un article pour un média, il y a un filet de sécurité, il y a souvent plusieurs relectures. Je suis humaine et faillible et je fais parfois des petites erreurs, donc je corrige ou parfois même je supprime. »
.@Salomesaque journaliste pour @lvslmedia et directrice du pôle économique à @Blast_France revient pour PICKS sur ce que représentent aujourd’hui les réseaux sociaux pour un.e journaliste 👇 pic.twitter.com/2jaVko968z
— La Netscouade (@LaNetscouade) May 7, 2021
« Ce n’est pas juste je fais mon contenu et "ciao" »
Quand Blast, la nouvelle web-TV de Denis Robert, a recruté la journaliste, l’annonce a été faite en grande pompe sur le Facebook du média, avec une vidéo dédiée : « Salomé Saqué rejoint Blast 🚀 ». Une manière de saluer sa communauté ? « Un journaliste ramène toujours sa communauté, à partir du moment où il a déjà une audience avec ses contenus. Même si c’est toujours un plus, je ne pense pas que cela ait déterminé mon embauche. En revanche, le fait que j’utilise les réseaux sociaux depuis des années, que j'en connaisse intimement les codes a été beaucoup plus important. De fait de mon parcours – j’ai participé à la création du site Le vent se lève - je me sens concernée par tout le contenu web et j'interviens dedans directement. Ce n’est pas juste je fais mon contenu et "ciao" ».
Ne pas dire « ciao » après avoir signé son article est le serment de cette nouvelle génération de journalistes. La promotion des contenus et le service après-vente de ceux-ci font partie intégrante de leur travail. « Les réseaux sociaux permettent d’avoir un rapport direct avec les lecteurs », explique Salomé Saqué. « Je ne peux pas répondre à tous les messages privés que je reçois, mais j’essaie le plus possible de le faire ». Les échanges en DM Twitter, activité journalistique peu visible par définition, a réellement son importance, tant pour obtenir des retours, que pour recueillir des informations ou développer un lien avec son lectorat. Demandez à un journaliste de presse écrite combien de lettres éparses de lecteurs il reçoit par la poste chaque année et comparez à l’abondante littérature quotidienne qui atterrit dans la messagerie Twitter d’un journaliste web.
Salomé Saqué est également très active sur Instagram, où elle compte pas moins de 33.000 abonnés. Autre salle, autre ambiance. « A la base, j'avais tout simplement un Instagram personnel, où je partageais surtout des photos de voyages. Et puis, au milieu de la pandémie, j'ai décidé que ça ne faisait plus grand sens de partager des voyages, donc, autant utiliser cette audience pour mettre en valeur mon travail de journaliste et poster des contenus de Blast. Cela donne un visage plus humain à mon travail. Je constate que ce n’est pas du tout la même audience que sur Twitter, les gens sont beaucoup plus bienveillants. »
La bienveillance n’est pas toujours le maître mot des échanges numériques, c’est un euphémisme. Et a fortiori quand on est une femme. Salomé Saqué a plusieurs fois dénoncé sur Twitter l’abject sexisme dont elle faisait l’objet. « Je sais que la haine sur Internet existe aussi pour les hommes et elle est massive, constate-t-elle. Mais je pense qu'il y a vraiment un degré supérieur envers les femmes. Les commentaires que je reçois sont de tous types : "sale pute, salope, connasse, mal baisée la baiser, je vais la baiser celle-là", souvent d'une vulgarité confondante. Ces commentaires sont quotidiens, que ce soit sous mes vidéos ou le plus souvent en privé sur mes réseaux sociaux. Quand je poste une vidéo politique, un quart des commentaires commente mon physique. » Face à ces commentaires, les journalistes femmes sont bien seules. C’est le revers de la médaille : devenus autonomes grâce aux réseaux, les professionnels de l’information en sont souvent réduits à gérer eux-mêmes leur modération. Pour ne pas dire leur service d’ordre.
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