28-02-2020
Licenciements pour bad buzz : “On confond le droit pénal et le droit du travail”
- Culture digitale
Ligue du LOL, Le Slip Français : depuis un an, les licenciements s’enchaînent suite à des dénonciations sur les réseaux sociaux. Dans l’émotion du moment, ces décisions paraissent s’imposer d’elles-mêmes. Elles questionnent néanmoins les nouvelles frontières du droit du travail à l’heure des réseaux. Sophie Challan Belval, avocat au barreau de Rouen, analyse pour PICKS les enjeux posés par ce tribunal Twitter qui se termine souvent devant le tribunal des prud’hommes.
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— La Netscouade (@LaNetscouade) February 28, 2020
Quelques jours après la publication sur Instagram d’une vidéo de deux de leurs salariés grimés en femme noire et en singe dans une soirée privée, Le Slip Français a annoncé la mise à pied de ces personnes. Peut-on licencier un salarié pour des faits liés à sa vie privée ?
C’est possible si le fait de la vie privée se rattache à la vie professionnelle. Par exemple, si une personne tient des injures racistes envers un collègue, en dehors de son temps de travail. Ce n’est pas le cas dans l'affaire du Slip Français : vous avez des personnes qui se filment et ont un comportement raciste mais dans un cadre strictement privé puisque c'est un réveillon du Nouvel An. Pour motiver des licenciements sur ces faits privés, Le Slip Français va devoir évoquer un trouble caractérisé dans l’entreprise. Est-ce qu'il y a eu au sein de l'entreprise des collègues qui ont été choqués par ces faits ? Est-ce que de par le comportement de ces salariés, il y a eu une perte de clientèle ? Nous ne le savons pas.
Le Slip Français va-t-il pouvoir justifier les licenciements par l’ampleur de l’émotion sur les réseaux sociaux ?
C’est une question intéressante, très contemporaine, pour laquelle nous n’avons pas encore de réponse. Pour que le trouble caractérisé soit reconnu, il faut qu’il ait été causé par les faits commis par les salariés. Or, ici le trouble est causé par le bad buzz. S'il n'y avait pas eu ces reprises de la vidéo sur un compte Instagram anti-raciste, est-ce qu'il y aurait eu un trouble caractérisé au sein de l’entreprise ? Il est difficile de répondre.
A partir de quel niveau de bad buzz peut-on justifier le licenciement d’un salarié ?
La justice statue in concreto, au cas par cas, en fonction de chaque entreprise, en fonction du poste de la personne, de la taille de l'entreprise, de son activité et en raison de la réaction des collègues et des clients. On ne peut donc pas dire à partir de combien de retweets ou de likes Instagram il pourrait y avoir une atteinte à l’image pour le Slip Français. En tous les cas, l’existence d’un bad buzz n’est pas une preuve de culpabilité : il peut y avoir une éruption des réseaux pour des raisons injustifiées. Il est important que l'employeur ne cède pas à la pression du bad buzz et réfléchisse, enquête et justifie de ce trouble qui doit être caractérisé et direct.
Le “blackface” pourrait être sanctionné par la justice. Est-ce bien le rôle de l’entreprise de prendre une sanction ?
Dans cette affaire, on confond le droit pénal et le droit du travail. Si ces personnes ont tenu des propos racistes publiquement (sur un compte non verrouillé et ouvert au public), des textes permettent de les poursuivre au pénal. Le racisme, malheureusement, existe, c'est une plaie de notre société. Il y a sans doute des gens racistes dans de très nombreuses entreprises. On ne peut pas pour autant demander à tous les employeurs de licencier les personnes racistes. L'employeur n'est pas le juge pénal.
Dans l’affaire de la Ligue du LOL, une dizaine de personnes ont été licenciées pour des faits vieux de 10 ans, prétendument commis avant qu’ils ne rejoignent leur entreprise. La gestion de cette affaire par les employeurs est-elle satisfaisante ?
Cette histoire résume la grande difficulté posée par la justice des réseaux sociaux. Dans le tourbillon de l’affaire, tout le monde s'est positionné : les partisans des plaignants d'un côté, les partisans des mis en cause de l'autre, en décidant, sans accès aux dossiers, simplement grâce à des extraits de tweets hors contexte, qui était coupable ou non. Je rappelle les fondamentaux en droit pénal : présomption d'innocence, droit à un procès équitable avec débat contradictoire des éléments de preuve et enfin, décision de condamnation. Peu importe la sympathie ou l'antipathie que vous avez pour ces personnes, les licencier pour des faits antérieurs à leur entrée dans l’entreprise pose question. Imaginez : vous avez 30 ans, vous venez enfin d'être embauché par l’entreprise de vos rêves. Est-ce que vous trouveriez légitime que votre employeur vous licencie pour des accusations que l'on forme contre vous sur des faits vieux de 10 ans ? D’autant que dans cette affaire, personne n’a fait l'objet de condamnation judiciaire.
La révélation des agissements supposés de la Ligue du LOL avaient créé une vive émotion sur les réseaux. Comment peut-on répondre à cette émotion légitime ?
L'émotion ne doit pas être prise en compte par les juges. Le problème que posent les réseaux sociaux est qu'ils réagissent essentiellement et énormément à l'émotion, tout en s’estimant pouvoir être juge. Nous devons juger les personnes de manière objective en prenant en considération tous les éléments d'un dossier, en respectant le contradictoire. Emporté par l'émotion, il est facile de s’identifier à la victime, de refuser à l'autre sa présomption d'innocence, son droit à se défendre, son droit à exprimer son point de vue. Les réseaux sociaux sont un élément formidable pour avancer socialement, pour réfléchir sur nos comportements. Le mouvement #MeToo est ainsi une incontestable avancée. Mais les réseaux sociaux ne peuvent être utilisés pour forcer les employeurs à oublier les fondamentaux de la justice.
Plusieurs personnes licenciées dans l’affaire de la Ligue du LOL attaquent leur journal devant les prud’hommes. C’est aussi le cas d’un agent d’entretien de la société Derichebourg, remercié après qu’une photo de lui en train de faire la sieste ait émergé sur Twitter. A-t-il des chances de gagner aux prud’hommes ?
Il y a un risque dans cette histoire que le motif de licenciement soit jugé disproportionné. L’entreprise a voulu répondre promptement à un début de bad buzz sur les réseaux. Licencier quelqu'un avec plusieurs années d'ancienneté, qui est sans doute un bon salarié, qui n'a peut-être aucun antécédent disciplinaire, simplement pour répondre aux desiderata d'une partie de l'opinion publique ou de twittos sur les réseaux sociaux est-il une mesure proportionnée ? C’est toute la question. Face à ces nouvelles problématiques imposées par les réseaux, l’employeur doit arbitrer entre le risque financier d'un bad buzz et le risque financier d'un licenciement illégitime. Au vu des barèmes Macron qui plafonnent les indemnités prud’hommales, il est fort possible qu’un licenciement pour bad buzz soit moins coûteux.
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