27-11-2020
Episode 1 - Au crash test du confinement : l'éducation numérique, ça fonctionne ou c’est du bullshit ?
De la maternelle à l’université, l’éducation fait sa transformation numérique : avec des acteurs et des penseurs de l’enseignement, La Netscouade se lance dans le décryptage de cette révolution. Une série au long cours, à retrouver chaque mois sur Picks.
12 mars 2020. Emmanuel Macron annonce à la surprise générale la fermeture des écoles. En quelques jours, ce fantasme de gourou de l’e-learning devient réalité : toute l’école française passe en distanciel. Ou plutôt en démerdentiel. Quel bilan tirer de cette « continuité pédagogique » ? Les écoles et les universités ont-elles enfin effectué leur transformation numérique ?
Quand le Président prend la parole ce jeudi soir, rien n’est prêt. La rentrée en distanciel est prévue pour le lundi suivant et il faut monter en catastrophe un préau numérique. L’outil « Ma classe à la maison » du CNED, développé à l’origine pour les élèves malades forcés de rester à la maison, est pimpé par le ministère pour en faire un outil à destination de tous. Face à cet afflux inédit, les serveurs du CNED comme de l’ENT (Environnement numérique de travail) vacillent. De nombreux profs se rabattent alors sur des solutions grand public. C’est ainsi que Zoom, Discord, Whatsapp, Jitsi ou Google Drive font leur entrée par effraction dans l’Éducation Nationale. Aucune institution n’a connu une transformation digitale aussi fulgurante.
Ces circonstances exceptionnelles ont-elles permis d’accélérer la mutation numérique de l’école ? Cette révolution à marche forcée peut-elle s’inscrire dans la durée ? Parmi les spécialistes, les avis sont partagés.
Le sociologue François Dubet analyse la séquence comme un grand coup de pied dans le mammouth : « Le virus a révélé une capacité de mobilisation, une générosité et une inventivité de la plupart des enseignants qu’aucun ministre n’aurait obtenues, quitte à y mettre des primes, des décrets, quelques inspecteurs et beaucoup de négociations […] L’école à la maison n’est pas l’école, elle ne la remplacera donc pas. Mais doit-on pour autant revenir à la situation antérieure et faire comme si rien ne s’était passé ? »
Subie, l’école à distance n’a pu être réfléchie
Lors d’un colloque en septembre à l’Assemblée Nationale, Michel Reverchon-Billot, directeur général du CNED, appelait de son côté à relativiser les avancées du confinement : « Ce n’est pas une accélération du numérique éducatif, mais une accélération des outils de communication numérique. On n’a pas cherché à faire autre chose autrement mais la même chose à distance, sans en mesurer l’impact et les effets ».
C’est tout le problème de la grande improvisation de mars : subie, l’école à distance n’a pu être réfléchie. En conséquence, les cours en ligne ont souvent été des versions dégradées des cours en présentiel. Seule une minorité d’enseignants - les plus avancés sur le plan technologique - a profité de la période pour innover et dessiner les contours du « monde d’après » pédagogique. Selon une étude réalisée par les laboratoires ADEF et TELEMME à Aix Marseille Université, 16 % des professeurs ont dépassé les usages recommandés, en animant un site personnel ou une chaîne vidéo pour proposer des contenus créatifs à leurs élèves.
En profiter pour dépoussiérer le contenu des cours
Bruno Dondero est de ceux-là. Professeur de droit à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, il diffuse depuis 5 ans ses cours sur Facebook Live, à la fois pour les rendre accessibles à tous, permettre un « replay » mais aussi pour développer une interactivité souvent absente des grands amphis. Militant convaincu du numérique, Dondero espère que les deux périodes de confinement imposées aux universités vont permettre de dépoussiérer le contenu des cours.
« Cette crise est très compliquée à gérer à mille égards mais si elle avait un mérite, ce serait celui d’avoir obligé de nombreux professeurs à se mêler de numérique, à mettre les mains dans le cambouis alors que souvent, ils regardaient cela de loin », raconte Bruno Dondero à PICKS. « Ces dernières années, j’ai beaucoup entendu cette phrase : "Je préfère faire un vrai cours plutôt que de faire un cours en ligne". L'enseignement à distance, ce n'est pas du moins bon enseignement, c'est un enseignement différent. Cela nous oblige à nous poser les bonnes questions : est-ce qu'on ne doit pas ajouter des éléments à nos enseignements ? Remplacer une partie du cours par des exercices, du travail en équipe, de la mise en relation des étudiants avec des professionnels ? ».
Mon prof de math est un YouTubeur star
La « continuité pédagogique » a transformé certains enseignants en véritables producteurs de contenus. Salim Brigui, prof de math dans un collège du Nord-Pas-de-Calais a profité du confinement pour ouvrir sa chaîne YouTube. « Je voulais donner une nouvelle forme à mes enseignements. Les mathématiques ne vont jamais changer sur le fond, mais on peut faire un effort sur la forme et proposer un contenu plus attractif et plus ludique, avec des références culturelles que les jeunes connaissent ». Un succès dans son collège, mais pas que. Sa chaîne compte désormais près de 3.000 abonnés.
A l’Université de Bordeaux, des profs de physique ont relevé le défi d’organiser des TD expérimentaux sur Zoom. Des travaux dirigés loin du labo, mission impossible ? Les enseignants ont eu l’idée d’utiliser un objet que tous les étudiants (ou presque) possèdent : un smartphone. En mettant à profit les capteurs du téléphone, il devient possible de mesurer la période et l’amortissement d’un pendule. Pour illustrer le concept d’accélération centripète, les profs ont demandé à leurs élèves de placer leur smartphone dans un panier à salade et de lancer l’accéléromètre et le gyroscope.
Copyright : The Conversation / Ulysse Delabre
Fracture des compétences numériques
Ces exemples brillants ne doivent pas occulter une réalité nettement plus contrastée. « Je crains que le confinement ait creusé les inégalités entre enseignants », analyse pour PICKS Divina Frau-Meigs, professeure des sciences de l'information et de la communication à Paris III. « Entre ceux qui ont développé depuis un certain temps des pratiques numériques et ceux qui y sont réfractaires pour toutes sortes de raisons : parce qu’ils ne s’estiment pas formés au numérique, parce qu'ils ont peur de se faire remplacer par ces outils ou parce qu’ils les jugent trop chronophages. Je pense que ceux qui sont réfractaires risquent bien de le rester ».
L’anthropologue des usages numériques Pascal Plantard estime ces réfractaires à environ un quart des enseignants. Un autre quart des profs se montre au contraire enthousiaste pour les outils digitaux et a passé sans encombre l’épreuve du confinement. Entre les deux, la moitié des professeurs « a tâtonné pour faire au mieux », avec cette impression d’avoir été jeté dans le grand bain numérique sans y être préparé. Cette crise aura montré l’impérieuse nécessité d’une meilleure formation des enseignants aux outils digitaux : pour les maîtriser en premier lieu mais aussi pour être en capacité de « scénariser » les cours et de penser des contenus spécifiques pour ces nouveaux médias.
Le logiciel libre entre à l’école
Le confinement a permis de faire avancer certains projets novateurs au sein de l’Éducation Nationale. Hâté par les circonstances, le ministère a lancé fin avril la version bêta d’Apps.education, une nouvelle plateforme de logiciels libres. Des outils destinés à remplacer les mastodontes américains : Webconférence, un outil de vidéoconf pour petits groupes, PeerTube, un service de partage de vidéos ou Etherpad, un outil de rédaction collaborative. Si le chaos de mars a fait naître un nouvel élan au sein de l’Éducation Nationale, Divina Frau-Meigs met un bémol : « Si les enseignants ne sont pas formés, vous pouvez leur donner des outils magnifiques, ils ne vont pas s’en servir ».
Et il n’y a pas que les profs qui patinent. Le passage au tout numérique laisse malheureusement des élèves sur le bas-côté. Environ 5 % des enfants et adolescents ont disparu des radars pendant le confinement du printemps. Si ces élèves ont fort heureusement fait leur retour à la rentrée en présentiel, ce chiffre jette une lumière crue sur la fracture numérique entre les familles. « S’il va de soi que l’école à la maison est plus inégalitaire que l’école à l’école, on ne peut oublier que l’école à l’école est loin d’être aussi égalitaire qu’elle le prétend, notamment quand elle externalise le travail scolaire sur les familles. Jusque-là, on ne semblait guère se soucier des élèves peu connectés, des parents absents ou accaparés », souligne François Dubet.
« Parfois, quand le prof parle, je fais ma vaisselle »
Le problème se pose également à l’université, où les inégalités apparaissent d’autant plus criantes pendant ces mois d’isolement. D’après une enquête de l’Observatoire de la vie étudiante réalisée après le premier confinement, 42 % des étudiants ne disposent pas d’un espace de travail au calme pour se concentrer et 36 % ont connu des problèmes de connexion Internet. Mais même avec le meilleur équipement possible, la « Zoom fatigue » guette. « Le risque de décrochage est décuplé. Quand leur attention se relâche, ils mettent la fenêtre avec le cours en arrière-plan sur leur écran. Il est alors bien difficile de les récupérer », déplore un professeur interrogé par Le Monde. « Parfois, quand le prof parle, j’éteins la caméra et je fais ma vaisselle en retard », raconte un étudiant. La continuité ménagère à défaut de la continuité pédagogique ?
Dans toute sa complexité, l’expérience du confinement éducatif aura incontestablement fait bouger les lignes. Une parenthèse imparfaite, inaboutie mais aussi riche d’enseignements. Poussée dans ses retranchements, l’institution scolaire a su répondre au défi technologique et initier par la force des choses une génération de professeurs à ces nouveaux outils. Il reste maintenant à transformer l’essai et à former vraiment le personnel à l’e-learning. Non pas pour préparer le prochain confinement, mais l’école de demain. Celle qu’on a entrevu dans quelques salles de classe virtuelles au printemps dernier.
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