26-03-2021
Le thé au lait, l’histoire d’un mème devenu symbole de lutte politique
- Politique
Comment un clash entre trolls chinois et jeunes thaïlandais a donné naissance à un puissant réseau de solidarité entre les mouvements prodémocratie des pays asiatiques. Les jeunesses de Hong-Kong, de Taïwan, de Thaïlande et maintenant de Birmanie luttent main dans la main contre une répression féroce, entre mèmes colorés et slogans politiques.
Tout est parti d’un malheureux retweet. Comme dans la vraie vie, les guerres numériques démarrent souvent pour un prétexte futile. La première escarmouche a été lancée en avril 2020 quand le jeune acteur thaïlandais Vachirawit Chivaaree a innocemment retweeté une image évoquant 4 « pays », dont Hong-Kong et Taïwan. Pour Pékin, cette dénomination est intolérable, ces territoires étant considérés comme partie intégrante de la Chine. Une armée de comptes nationalistes chinois fond alors sur l’acteur, forcé de s’excuser. Des internautes thaïlandais s’interposent et la situation vire rapidement à la guerre de tranchées numérique. On s’insulte, on se trolle, on se mème. C’est au milieu de cette cohue que naît le hashtag #MilkTeaAlliance, alors que des prompts renforts venus de Hong-Kong et Taïwan viennent à la rescousse des Thaïlandais.
Au départ simple mème anti-Pekin, destiné à nourrir la guerilla numérique, le thé au lait va vite s’imposer comme la bannière d’un rassemblement informel de mouvements prodémocratie. A Hong Kong, à Taipei ou à Bangkok, la jeunesse mène des combats distincts dans leurs rues respectives mais partagent une même revendication de liberté et la même défiance envers la Chine. « Le thé est le breuvage le plus bu en Asie, sauf qu'en Chine il est bu pur, alors qu'à Taïwan, à Hong Kong, en Birmanie et en Thaïlande il est bu avec du lait », explique la chercheuse Chloé Froissart, professeure en science politique à l’Inalco. « Il se prépare de différentes manières : à Taïwan, il est fait avec du tapioca, à Hong Kong il est chaud, en Thaïlande il est froid et sucré. Cela renvoie à la fois à des valeurs communes, qui sont à la base de tous ces mouvements, et en même temps aux spécificités nationales qui font que chaque mouvement a des revendications propres.»
Le symbole est parfait, il va faire florès. Le hashtag #MilkTeaAlliance est repris des millions de fois, aussi bien sur Twitter que sur Instagram, utilisé pour dénoncer les exactions des régimes, demander la libération de militants emprisonnés, mais aussi pour exprimer une solidarité entre les différents mouvements, dans un dialogue permanent entre la rue et les réseaux. L’été dernier, quand des milliers de jeunes manifestants inondent les rues de Bangkok en Thaïlande, ils arborent des signes qui rappellent furieusement les cortèges aperçus à Hong-Kong ou à Taïwan : le thé au lait bien sûr mais aussi les parapluies pour se protéger des gaz lacrymogènes, l’uniforme noir, les « Lennon Wall )» ces murs sur lesquels sont accrochés des post-it colorés et revendicatifs ou le salut à trois doigts, emprunté à la série The Hunger Games. Tout un folklore de symboles visuels qui circulent entre les rues asiatiques, par l’entremise des réseaux sociaux.
Le symbole des trois doigts est repris par les manifestants contre le coup d’Etat en Birmanie en février dernier. Les jeunes Birmans, qui affrontent des forces de l’ordre sanguinaires, sont les dernières recrues de la Milk Tea Alliance. Le 28 février, dans les rues de Taïwan, Bangkok, Hong Kong et même Melbourne, des activistes ont montré leur soutien en arborant les couleurs de l’alliance du thé au lait. Ces convergences entre des pays si différents n’a pas manqué de surprendre les observateurs et marque l’émergence d’un sentiment de destin commun de la jeunesse asiatique, qui pourrait faire tâche d’huile en Asie du Sud-Est.
HONG KONG MILKTEAALLIANCE
— May Thawda Phoo (@RitaPhooPhoo) February 28, 2021
SPRING REVOLUTION OF MYANMAR
FIGHT FOR DEMOCRACY#MilkTeaAlliance #MilkTeaAllianceMyanmar #WhatsHappeningInMyanmar pic.twitter.com/yYdKLQqX92
Confrontés à des régimes autoritaires, dans un rapport de force qui leur est très défavorable, ces mouvements ont besoin du soutien de la communauté internationale. « C'est une des motivations de la création de cette alliance », analyse Chloé Froissart. « On retrouve des banderoles écrites en anglais dans les différents mouvements, qui interpellent directement la communauté internationale, en disant "si vous défendez la démocratie, défendez-nous".» Le mème, langage universel, est aussi un moyen de rallier les sympathies étrangères.
Les réseaux sociaux permettent une fluidité des mouvements, face à la réponse policière. Les manifestants de Hong-Kong en 2019 avaient fait leur la fameuse phrase de Bruce Lee : “Be water”. Soyez liquide, pour échapper à la censure et à la répression. « Les réseaux sociaux permettent d'organiser des mouvements qui n’ont ni organisations formelles ni leaders, et qui ont une fluidité, une rapidité de réaction », estime Chloé Froissart. « Ils permettent, par exemple, d'organiser des rassemblements en même temps dans différents lieux pour éparpiller les forces de l'ordre et permettre des replis très rapides.» Ces modes d’action tactiques se retrouvent dans les quatre territoires.
Lors d’une visioconférence sur la #MilkTeaAlliance, Stéphane Corcuff, maître de conférences à Sciences Po Lyon, a prédit que l’Asie était à la veille de grands mouvements : « Il y a un tremblement de terre, un mouvement qui mérite une attention internationale. Des digues lâchent, des tabous qu’on ne pouvait pas mentionner - la monarchie en Thaïlande, l’identité chinoise à Taïwan – commencent à être questionnés ». Mais comme souvent avec les mouvements nés sur Internet, l’organisation liquide ne permet pas forcément de passer à l’étape supérieure. C’est l’analyse que fait Sophie Boisseau du Rocher, chercheure associée au Centre Asie de l’IFRI : « Pour l'instant on est dans quelque chose de très informel, très flottant, pas encore une alliance assez structurée pour véritablement faire peur aux régimes en place. Certes, il y a une Milk Tea Alliance mais il y a aussi une alliance des régimes autoritaires en place. » Les leaders du mouvement en Thaïlande ont été incarcérés au début du mois de mars pour crime de lèse-majesté. De quoi donner des idées à la junte birmane ?
Retrouvez l'entretien complet avec Chloé Froissart ici.
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